Quel diable d’homme, cet indomptable coureur de bois de la Nouvelle-France qui se meurt à Londres en l’an 1710, non sans vouloir au préalable se décharger d’un lourd secret… Quel est-il ? La vie d’aventurier qu’a choisie Pierre-Esprit Radisson est si pleine et si tumultueuse que l’on y peut trouver, outre un secret, de multiples sinuosités : jamais à court d’arguments, opportuniste, renégat à l’occasion, qualifié de « perfide à son roi et à sa patrie », il passa « du bord des Français puis derechef du bord des Anglais », une des raisons pour lesquelles il fut le pelletier le plus célèbre, et aussi le plus honni de son temps. Il reste que notre preux et bouillant prospecteur ne nous paraît pas vraiment antipathique sous la plume d’André Durand qui, en vérité, lui prête la sienne.
Dans sa démarche biographique, l’auteur adopte en effet un parti pris résolument anecdotique : plutôt que de faire « parler » les documents et les archives, à grand renfort de notes et de renvois, d’annexes et d’indications bibliographiques, il préfère laisser « parler » l’intéressé, Pierre-Esprit Radisson lui-même. Le livre est ainsi écrit à la première personne du singulier, comme un journal, dans un style fleuri où la verve intarissable du narrateur le dispute allègrement à sa faconde vantarde. « Ouvrez grandes vos écoutilles ! Je vais vous en débagouler des capables, vous en sortir des pas piquées des vers. » Force est de constater qu’il nous en débagoule des vertes et des pas mûres, assurément, ce renard de coureur de bois pour qui les vastes et périlleux territoires de la Nouvelle-France n’avaient plus aucun mystère, et dont on partage les aventures comme si on y était… son baragouin en moins, le confort moderne en plus.
Cette lecture réjouissante, par moments désopilante, n’exclut en rien le caractère didactique du sujet, notamment quand il est question des Indiens, de leurs coutumes, de leurs murs, de leur mode de vie. Défi magistralement réussi pour André Durand !