Dans son dernier essai, Michel Biron regroupe trois écrivains québécois qui ont « en commun d’imaginer une société en creux », dont « les bord sont peuplés, mais […] le centre, […] vide », et « où la structure n’est pas ». Cette société, dit encore Michel Biron, est « excentrée, élaborée […] en dehors du pouvoir institutionnalisé », elle « regroupe des personnes situées en marge des institutions » ; l’anthropologue anglais Victor W. Turner l’appelle une « communitas » .Celle-ci développe des relations fondées, non pas sur l’exercice d’un pouvoir, mais sur l’expérience de la « liminarité », autre concept emprunté à l’anthropologie. Le personnage liminaire, dit Victor W. Turner, « définit le centre de gravité. […] Seul ce qui gravite autour [de lui] a du poids : le reste, c’est à dire les lois sociales, les groupements établis, les institutions, cela n’existe à peu près pas ». « Le héros liminaire par excellence est celui qui ne possède aucune autorité juridique ou politique. » Comme « l’œuvre liminaire [qui] se tient en bordure des genres », l’auteur liminaire « n’appartient pas à un univers clos sur lui-même » et ne s’exhibe pas comme un professionnel de l’écriture ; c’est plutôt « un écrivain de la proximité », laquelle est « liée à une configuration sociale fondée sur des relations de contiguïté, de voisinage, de connivence et d’amitié ». C’est un moderne qui pratique l’« hybridité des genres » et son écriture « maintient le contact entre [son] monde […] et celui du lecteur ».
Telles sont, grosso modo, les principales données qui orientent la lecture sociocritique pratiquée par Michel Biron sur le corpus de trois « francs-tireurs, rébarbatifs aux regroupements », à savoir, d’abord, Regards et jeux dans l’espace (1937) de Hector de Saint-Denys Garneau, dont l’essayiste considère aussi l’essentielle participation à la revue La relève ; puis quelques contes de Jacques Ferron, entre autres Le paysagiste (1962), et surtout six de ses romans, dont Cotnoir (1962), La charrette (1968), Le ciel de Québec (1969), L’amélanchier (1970) et Le Saint-Elias (1972) ; enfin, l’œuvre romanesque complète de Réjean Ducharme, dont Michel Biron suit l’évolution de près, de L’avalée des avalés (1966) à Va savoir (1994) .
Un livre qui ne manque pas d’intérêt, même s’il est inégalement convaincant ?