Le goût de l’Un, du Tout. Ce désir immémorial d’un lieu unique où tout rassembler, tout recueillir, un lieu ouvert à tout venant, où de vivants piliers gardent la parole et la rendent au poète, régénérée et libre. Temple des correspondances de Baudelaire ou cathédrale de tout de Roger Des Roches, il s’agit d’une même hantise poétique, d’un même projet de fusion entre la parole et le monde.
On pourrait penser de ce recueil, en lisant son titre et en parcourant la longue liste des œuvres de Des Roches, qu’il a été voulu comme un aboutissement, une œuvre totale, ultime quête d’absolu du poète avant d’avoir tout dit. Par chance, on aura vite fait de voir que le livre n’épuise en rien l’éventail des possibles, mais qu’au contraire il ouvre des voies où sont en germe des espaces à explorer.
On est ici aux prises avec des réalités indicibles, que le poète tente de saisir, malgré leur irréductible silence. Les mots s’agglutinent les uns aux autres et leur solidarité les cantonne dans des périphrases qui montrent avec certitude que le Tout est plus grand que la somme de ses parties. Qu’est-ce que l’« eaucielsol » ou « une chair veut la chair veut la chair » ? Même l’auteur ne saurait le dire, bien qu’à coup sûr il pressente que ces nouveaux substantifs dévoilent une partie du réel demeurée sans nom et qui tente de s’incarner une fois pour toutes à travers sa voix de poète.
Le projet est périlleux, car il s’avère parfois un peu hermétique, bien qu’il ne soit pas stérile. Le langage y est torturé, la syntaxe détournée de ses ornières habituelles et les mots monstrueux à têtes multiples nous plongent dans un monde qui rappelle les toiles de Bosch, à la frontière du Sacré et du Sacrilège, où le lecteur, seul profane en ces lieux, tente de mettre dans la balance sa sécurité et sa raison pour une folie plus grande, plus vaste, mais surtout plus haute.
Le recueil est au premier abord un peu revêche : les premières pages nous gardent à distance, mais elles placent petit à petit les balises nécessaires à la débâcle qui arrive plus loin, dans la section intitulée « Cathédrale soufflée », où tout défile dans un grand désordre fertile et sauvage.