Un seul parcours, mais réparti entre plusieurs continents et irrigué par plusieurs cultures. En effet, Louis de Reynac naît à Pondichéry, fait escale en France le temps de s’associer aux forces françaises qui participeront à la guerre d’indépendance étatsunienne et retourne en Inde pour livrer un dernier combat à l’Angleterre conquérante. La tonalité du récit change donc à plusieurs reprises et les perspectives s’en trouvent chaque fois renouvelées. À Pondichéry, Louis de Reynac enfant partage avec son ami autochtone Tippou sa haine des Anglais : « Alors, jure avec moi de te battre contre eux quand tu seras grand et d’en tuer le plus possible ! » Même si le temps tempère (à peine) cette détestation, elle demeure assez vive pour que de Reynac se réjouisse de participer, au côté du séduisant La Fayette, à la guerre qui soustrait les États-Unis à la tutelle britannique. À peine cet objectif est-il atteint que de Reynac reçoit de Washington mandat de vérifier si les francophones du Québec accepteraient de se joindre aux treize colonies étatsuniennes. L’enquête dure peu, car de Reynac attire la suspicion des autorités britanniques et doit s’enfuir. Il boucle la boucle en retournant au pays qui l’a vu naître et en participant à la résistance qu’oppose l’Inde au conquérant britannique. Un instant sensible à l’influence pacifiante de la contemplation et de Mère Teresa, de Reynac renoue pourtant, en même temps qu’avec Tippou, avec la haine qui a marqué son existence.
Ce parcours ample et tumultueux n’est pourtant qu’une facette du roman d’Yves Aubin : l’amour occupe l’avant-scène de cette fresque tout autant que les bruits de bottes. Tout se ligue, comme dans Le Cid ou Roméo et Juliette, contre la passion amoureuse qui emporte de Reynac et Ann Buckridge : père vicieusement opposé à l’union, rival cruel et puissant, dangers des combats, longues séparations opaques, etc. Rien de mièvre dans cette quête traversée par mille épreuves, mais des rebondissements dramatiques et pourtant plausibles.
Quand s’ajoutent à ces ingrédients de pertinentes comparaisons entre la révolution étatsunienne et 1789, on ne peut qu’admirer la minutie et la diversité des recherches consenties par Aubin : elles forcent l’histoire, la géographie, la psychologie, la politique à dévoiler leurs secrets. Même si Aubin identifie rarement les auteurs auxquels il adresse ses clins d’œil, il est patent que la littérature aussi a retenu son attention : Baudelaire, Valéry, Verlaine, même sans guillemets, rendent témoignage. Impressionnant.