Dès les premières pages, on est soufflé par la maturité de l’écriture de François Gilbert, qui signe ici un premier roman fort réussi. Rien n’y est laissé au hasard, semble-t-il, à la manière d’une cérémonie japonaise du thé dont seul l’hôte connaîtrait le code. Lecteurs, nous pénétrons dans un monde étranger où règne l’ordre, le silence, les gestes sûrs. L’auteur, pas de doute, tel un démiurge, sait, lui, où il va. Ainsi, au-dessus de cette histoire de faux amour tragique plane une sorte de fatalité que les personnages ignorent ou feignent d’ignorer. Le roman commence dans un hôtel de Shangai. Satô s’y est réfugié pour fuir son amante qui l’a éborgné. Il est cependant rappelé dans son pays, le Japon, par la mère de la jeune fille. Celle-ci, depuis son départ, est plongée dans le coma. Saura-t-il, comme la mère le souhaite, la sortir de son sommeil ? Son amour sera-t-il assez fort ? Mais qu’on ne s’y trompe pas, il n’y a rien de romantique dans cette histoire qui a plus à voir avec le drame psychologique. À cet effet, la maturité de Gilbert se retrouve aussi dans l’architecture des sentiments qu’il construit au fil des pages. Leur évocation par petites touches y est spatiale, soutient, donne corps aux personnages qui, au début du livre, à cause de leur commune retenue, étaient plus des images que des êtres de chair. C’est d’ailleurs l’un des propos centraux du livre : que suis-je derrière l’image que je projette ? Quels sont mes motivations profondes, mes désirs ? Cet épisode sera l’occasion pour Satô, qui n’a que vingt ans, de comprendre sa nature profonde, refoulée sous les impératifs de la société japonaise. Un habile jeu de miroirs nous fera comprendre qu’il n’est pas le seul à se débattre comme un diable sous l’image.
Ni noir, ni rose, un roman qu’on dirait écrit par un jeune Japonais ressemblant à Satô, timide et humble.