Le prix Jacques-Brossard 2021 décerné à ce roman est venu s’ajouter à la liste déjà considérable de récompenses remportées par l’autrice. Celle-ci a en effet obtenu le prix France-Québec 2014 pour Le mur mitoyen, le prix Adrienne-Choquette 2016 pour Madame Victoria et le Prix littéraire du Gouverneur général 2019 pour sa traduction de Nous qui n’étions rien de Madeleine Thien.
Dans ce quatrième roman, Catherine Leroux nous transporte à Fort Détroit, une version uchronique de la Motor City. Fondée en 1701 par Antoine de Lamothe-Cadillac, la ville présente le même aspect et possède la même histoire que le véritable Détroit, si ce n’est qu’elle n’a jamais été cédée aux Américains et que l’on a continué, depuis le XVIIIe siècle, d’y parler français. La romancière, peu encline à faire dialoguer ses personnages en français international, a conséquemment élaboré un dialecte « détroitfortin », inspiré des parlers acadien et franco-ontarien. Comme son modèle réel, Fort Détroit est une ville sombre et dévastée, que des citoyens bienveillants s’efforcent pourtant de ranimer par l’entraide et l’agriculture urbaine. C’est dans un tel voisinage de gens bien intentionnés qu’arrive Gloria, la protagoniste, au début du roman. Elle est venue à Fort Détroit dans l’intention de prendre soin de ses deux petites-filles, disparues depuis que leur mère, toxicomane, a été assassinée. La sexagénaire, qui n’avait jamais réussi à percer la carapace de sa fille Judith, espère pouvoir faire mieux en s’occupant de Mathilda et de Cassandra. Elle tient donc mordicus à les retrouver. Sa quête la mettra en rapport avec un groupe d’enfants vivant à l’écart des adultes dans un bois. Désignés par d’étranges sobriquets (Fidji, Loupiote, Lego, parmi d’autres), ces petits laissés-pour-compte sont des survivants qui ont développé leur propre sous-culture rituelle et symbolique. Pour donner forme à l’étrangeté de leur univers, la romancière a eu la judicieuse idée d’intégrer des éléments de réalisme magique dans son récit. Là où, sur le même thème, bon nombre d’auteurs auraient émis les plus noires conjectures, Catherine Leroux a préféré décrire l’ouverture d’une voie lumineuse. L’espèce humaine, cette grande saccageuse, a peut-être encore un avenir…