« Il était invivable. » Un écrivain de talent, ce Paul Villeneuve, illuminé, idéaliste, un mystique réfractaire à l’autorité. Surtout un personnage plus grand que nature, ce frère tellement attachant que fait revivre Marité Villeneuve.Paul Villeneuve, c’est l’auteur de ce fameux Johnny Bungalow dont j’ai parlé dans ces pages (numéro 150, printemps 2018) et c’est aussi un personnage de roman. Ce récit biographique pourrait s’intituler « Villeneuve ou la vie dans les bois », ce qui serait incomplet car, avant cette surprenante réclusion que le lecteur va découvrir, on suit le parcours d’un jeune homme à une époque à la fois proche et pleinement révolue. J’ai lu Mon frère Paul avec énormément d’enthousiasme et d’intérêt. J’ai pleuré à deux ou trois reprises, avant de rire, et j’ai souri aussi, par moments, avec ce sentiment jouissif d’avoir entre les mains un livre puissant, intellectuellement stimulant et qui soulève avec maîtrise des questions auxquelles personne n’est indifférent : la construction d’un système de valeurs, nos choix de vie et les considérations morales qu’ils engagent ou qui les engagent, le statut de l’écrivain et les enjeux esthétiques qui vont avec, les questions sociales, la volonté politique, le rêve d’un monde autre. Je découvre, en même temps que l’homme, un écrivain dont une partie de l’œuvre nous était autrement inaccessible. Merci à Marité Villeneuve d’avoir nourri son récit d’extraits du journal intime de Paul, de ses lettres, de textes inédits ou difficiles à obtenir.Son précédent récit, J’écris sur vos cendres (Fides, 2015), témoignait d’un métier solide. Mon frère Paul procède d’un art encore plus grand. Une réussite à tous égards. J’adore la mise en parallèle des émois de la jeune fille et des tourments de ce grand frère déjà trop grand pour qu’elle sache comment l’atteindre. Plus tard, le point de vue conciliant de la femme contraste avec l’intransigeance du frère : « […] toi, te plier à des exigences, rentrer dans le rang, consentir à une programmation établie, tu ne peux pas ».J’ai beaucoup aimé les « voix » qui jalonnent les chapitres, celles des proches de Paul (amis ou parents), les opinions et les perceptions différentes qui enrichissent la figure de l’écrivain et les enjeux évoqués à l’instant. Comment ne pas songer à Emmanuel Carrère, à Je suis vivant et vous êtes morts et à L’adversaire ? Je suis sûr que tous les lecteurs peuvent goûter ce récit tant la langue en est simple, directe, et la construction habile les surprendra.Prenez le temps, lecteur, de savourer l’exposition et le développement. Au bout de soixante pages, ça ne se lâche plus. Ce n’est pas un roman à intrigue, et pourtant vous serez intrigué quand Paul se retire sur sa terre, dans une cabane, pendant vingt ans… jusqu’à ce qu’on le découvre. On se demande : où est-ce que je m’en vais ? Vous allez voir. Vous ne reviendrez pas indemne de ce voyage « loin des vanités du monde ». La romancière insuffle à ce retrait du monde une dimension extraordinaire : du poète au fou, du fou à l’homme pratique, de celui-ci au rêveur, le récit nous fait sentir cette déréliction, il nous la fait éprouver. C’est une réelle force du texte : la sensibilité et le travail littéraire de l’auteure se goûtent à chaque moment, tantôt discrets, tantôt manifestes.Je m’efforce de rester neutre. Mon effort montre que je ne le suis pas. Qui peut rester neutre devant une histoire comme celle-là, devant ce déferlement d’images, de mouvements et de retournements ?C’est simple et puissant, combinaison rare, et c’est déchirant. Une œuvre dont je vois mal comment elle pourrait passer à côté d’un des prix annuels ou de la sympathie des lecteurs.
MON FRÈRE PAUL
- Del Busso,
- 2020,
- Montréal
383 pages
29,95 $
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