Des personnages auxquels on s’attache, une écriture alerte et inventive, des rebondissements qui maintiennent l’intérêt, des références à des personnalités de l’heure, des points de vue critiques et drolatiques sur des sujets qui font la une de l’actualité : l’éducation, la psychiatrie, la pharmacologie, tous les ingrédients sont ici rassemblés pour assurer au premier roman de Simon Leduc, L’évasion d’Arthur ou la commune d’Hochelaga, un succès certain.
Mais de quoi est-il question dans ce livre ? Le titre fait d’emblée allusion à un lieu, une situation d’enfermement dont on souhaiterait se libérer, et à un modèle d’organisation sociale, la commune, qui eut à une époque pas si lointaine son heure de gloire. « La neige tombe pus, è pousse. » Ainsi débute le roman, comme un premier avertissement au lecteur que les choses ne se dérouleront pas nécessairement dans l’ordre établi, ni dans une langue en camisole d’usage convenu. Clin d’œil à Jules Verne pour le côté rocambolesque, chaque chapitre (le roman en compte près de soixante) est précédé d’un appel au lecteur qui le renseigne sur sa teneur. Les narrateurs – ils sont plusieurs à se partager la conduite de l’histoire – interpellent également le lecteur de temps à autre, comme on le ferait au théâtre, pour l’inclure dans le déroulement de l’action, et ainsi s’assurer qu’il n’a pas perdu le fil de l’histoire. Arthur, le protagoniste du récit, est âgé de dix ans et a été diagnostiqué TDAH. Branle-bas de combat au sein de l’unité familiale disloquée : doit-on souscrire à la voie de facilité qui ferait rentrer Arthur dans le rang de la normalité en le médicamentant ? La mère, travailleuse sociale épuisée, cède, alors que le père, un marginal qui travaille auprès des plus poqués de notre société et se bat contre l’hyper-médicalisation des patients en institution psychiatrique, s’y oppose. Tension familiale assurée. Entre-temps, Arthur, pour avoir découvert la cachette secrète de chocolats de petits voyous qui terrorisent les plus jeunes de l’école, se fait tabasser par ces derniers après s’être empiffré de fudge. Il trouve refuge dans une école désaffectée où il fait la rencontre de Choukri, alias Barbe bleue, un itinérant schizophrène qui prendra sa défense contre tous ceux qui voudraient l’intimider. Les événements s’enchaînent et Arthur décide de vendre ses médicaments, et ceux qu’il trouve dans la pharmacie de sa mère, à l’école, ce qui déclenche une suite de rebondissements que seront appelés à suivre les agents Lemire et Richer, tantôt dans le fil du récit, tantôt en notes de bas de page, comme s’ils étaient confinés dans leur auto-patrouille à surveiller les mouvements d’Arthur et de tous les autres personnages qui gravitent autour de la commune d’Hochelaga.
On l’a souligné : le récit est ponctué d’inventivités narratives. L’utilisation de la liste comme procédé stylistique est récurrente et concourt à rythmer le texte, ainsi que le caractère oral qui donne parfois l’impression d’un déluge ininterrompu de mots, comme l’illustre l’extrait suivant : « Les voix sont multiples, les discours confus et inachevés. Ça vomit de l’alphabet dans un déluge schizophrénique, ce sont des cheveux de méduse qui ont chacun quelque chose à dire, c’est cousu de fil blanc, ça pend aux oreilles, c’est la dyslexie de l’économie du savoir, l’incontinence du premier monde, c’est l’aire de Wernicke qui fait la passe à Broca, qui s’en sacre pas mal du lobe frontal, qui lance et compte, fait tourner les gyrophares rouges et ne se pose pas de question sur les effets des coups à la tête ».
Voilà, il faut parfois nous accrocher, comme dans un manège qui nous secoue de tous les côtés. Certains lecteurs y trouveront leur plaisir, d’autres choisiront un stand de tir plus tranquille. Mais n’en faut-il pas pour tous les goûts ? Comme il arrive parfois aux premiers romans, celui-ci pèche par moments par un surplus de poids, mais comme il se présente à l’enseigne d’un feu d’artifice, peut-on vraiment le lui reprocher ?