Né à Paris en 1881, François Fosca (pseudonyme de Georges de Traz) est décédé presque centenaire en 1980 à Genève, où il enseigna à l’École d’architecture et à l’École des beaux-arts. Auteur prolifique, il publia quelques dizaines d’ouvrages sur la peinture, dont des monographies sur Degas, Renoir, Bonnard, etc.
Il publia en outre une Histoire des cafés de Paris (Firmin-Didot, 1935), une Histoire et technique du roman policier (Nouvelle Revue critique, 1937), De Diderot à Valéry, Les écrivains et les arts visuels (Albin Michel, 1960). Enfin, il produisit une œuvre romanesque, essentiellement avant la fin de la Deuxième Guerre, qui est malheureusement complètement oubliée, puisque ses romans n’ont jamais été réédités et qu’ils ne sont jamais cités.
L’œuvre romanesque de François Fosca est diversifiée. Entre 1923 et 1933, il fit paraître six romans, qui semblent former un groupe à part dans sa production littéraire ; Fosca s’orientera ensuite vers le roman policier, signant plusieurs de ses ouvrages du nom de Peter Coram.
Un hommage à Balzac
Le premier roman de Fosca, Monsieur Quatorze, est à mon avis le meilleur qu’il ait écrit. Publié en 1923 chez Grasset, Monsieur Quatorze se donne à lire comme la suite de l’Histoire des Treize de Balzac. Composée de trois romans : Ferragus, La fille aux yeux d’or et La duchesse de Langeais, qui ne sont pas les plus réussis de la Comédie humaine, l’Histoiredes Treize portait sur la confrérie formée, sous l’Empire, de treize hommes extraordinaires qui s’étaient juré une aide mutuelle et en toutes circonstances et qui étaient « assez forts pour se mettre au-dessus de toutes les lois, assez hardis pour tout entreprendre, et assez heureux pour avoir presque toujours réussi dans leurs desseins1 ». Ce qui compte ici, c’est ironiquement le « presque toujours », car les projets des grands hommes de Balzac, dans les romans susmentionnés du moins, échouèrent… Fosca allait retenir la leçon.
Monsieur Quatorze relate la tentative de quelques-uns des Treize (les héros de Fosca sont de nouveaux membres de la confrérie) d’enlever le petit-fils de Louis XVI, gardé prisonnier dans une île italienne, afin de remettre sur le trône de France la branche légitimiste. Nous sommes en 1831. Pierre-Antoine d’Orjules, gentilhomme suisse, porté à la mélancolie depuis une peine amoureuse qui l’a laissé meurtri, trouve l’occasion d’oublier son mal dans la proposition de Marcherouge de se joindre à eux pour délivrer Louis XIX. Ce sera le point de départ d’une intrigue bien ficelée et complexe, d’une série d’aventures hautes en couleur, entrecoupées de repas et de recettes gastronomiques, de propos sur l’archéologie et d’une idylle amoureuse. Dans la plus pure tradition du roman français, psychologique (La princesse de Clèves) mais aussi d’aventures (Le comte de Monte Cristo), l’intrigue du roman repose sur un secret, et mieux encore sur un secret à double tiroir, puisque non seulement l’existence de Louis XIX est un secret bien gardé, mais encore sous ce nom royal se cache en réalité la fille d’un garde suisse, que d’Orjules finira par épouser. Et encore ce n’est pas ce secret qui compte le plus : sous l’identité énigmatique de Monsieur Quatorze se dissimule le Vautrin du Père Goriot (devenu l’abbé Carlos Herrera dans Splendeurs et misères des courtisanes) ; même l’auteur du roman Le rouge et le noir, Stendhal lui-même (Henri Beyle), figure ici dans l’habit du consul d’Héraclée. Le roman se donne ainsi à lire comme une fête des personnages et des anecdotes dans le plus romantique des décors.
Fosca prend bien sûr des libertés aussi bien avec Balzac qu’avec l’histoire. Mais qu’importe, car ici l’imagination a tous les droits, et le lecteur les lui accordera d’autant volontiers que Monsieur Quatorze est un roman alerte et festif, infiniment drôle et malicieux, plein de vie, aux dialogues savoureux et aux rebondissements ingénieux ; « la plus jolie, la plus fraîche et la plus joyeuse parodie du roman d’aventures et du roman historique2 », comme le disait Louis Martin-Chauffier. Faux roman historique, roman intertextuel qui s’amuse avec les grands auteurs (Balzac avait ses grands hommes, Fosca met en scène ses grands auteurs), roman d’aventures qui porte les traits du roman-feuilleton de l’époque romantique, Monsieur Quatorze est tout cela à la fois pour notre plus grand plaisir.
Une psychologie retorse
Monsieur Quatorze occupe une place à part dans la production de Fosca, puisque l’auteur ne reviendra plus au récit d’aventures, fût-il sous la forme parodique. Après l’exemple de Balzac, c’est dans la grande tradition française du roman psychologique que Fosca s’inscrit. Moins novateur, le récit linéaire de La berlue (1925) se lit d’une traite, comme une longue nouvelle. Fosca fait ses gammes psychologiques : l’analyse et l’ironie espiègle du romancier n’ont pas encore la profondeur et la finesse des romans à venir. C’est ici l’histoire d’une femme vertueuse et candide trompée par un jeune homme hypocrite et malhonnête ; ayant reconnu dans Félicien le fils de l’homme qu’elle devait autrefois épouser, Monique revit son amour par procuration, en quelque sorte, cependant que Félicien ne pense qu’à la tromper, s’inventant une vie pour mieux l’attendrir et abuser de sa bonne volonté. Dans la personnalité dissimulée de Félicien subsiste peut-être, comme un pâle souvenir de Monsieur Quatorze, le goût du masque, sauf qu’à la volonté collective et au dévouement noble des héros du roman précédent s’est substituée la médiocrité d’un individu veule. Le passage du roman d’aventures au roman psychologique introduit chez Fosca une morale de l’iniquité qui va dorénavant donner la couleur à sa production fictionnelle. Mais pour l’heure, l’intérêt du roman est ailleurs : ce qui permet à la relation entre Monique et Félicien de se nouer, ce sont les livres que celui-ci prête à la première, laquelle découvre l’amour pour la première fois en lisant Marcel Prévost, Michel Corday, Pierre Louÿs ou Gabriele d’Annunzio, sans compter qu’elle admire les vers de Verlaine que lui déclame Félicien en prétendant qu’ils sont de lui ! Dans ce roman qui en somme refait à sa manière Madame Bovary, les livres tiennent un peu le rôle de l’Histoiredes Treize dans Monsieur Quatorze, ils permettent à l’histoire d’avancer, de s’écrire dans les marges de la littérature.
Les dames de Boisbrûlon (1926) est d’une autre trempe, puisque le roman, quantitativement plus costaud, fait voir par ailleurs de grandes qualités d’analyste. On voit mieux ici comment Fosca excelle à évoquer les nuances du sentiment d’un personnage, mais plus encore à mettre ces nuances en relation avec ce que d’autres personnages ressentent et pensent. De sorte que les rapports entre les personnages sont tissés de mesquineries et de malentendus, ce qui finit par tourner au tragique. Les données psychologiques situent Fosca dans la veine du roman mauriacien et font des Dames de Boisbrûlon un très proche parent d’un roman comme La chasse de novembre (1936) de René Laporte. D’un point de vue moral, Les dames reprend l’histoire de La berlue, car une fois de plus l’intrigue tourne autour de la tromperie amoureuse, à ceci près que c’est la femme qui feint, car la dame de compagnie qu’est Lucy Molière, avide de faire un mariage bourgeois, « avait saisi quel devait être son jeu : se poser en innocente, en jeune fille naïve, humble, dévouée, et bien-pensante ».
L’amour forcé (1927) offre un excellent exemple de l’humour narquois de Fosca et de son intérêt pour les facéties et les malentendus amoureux. Lors d’une soirée bourgeoise, quelques personnages potinent : ils croient que l’historien André Marchessy et Eveline Forie, qui n’a pas connu d’hommes depuis qu’elle est devenue veuve onze ans plus tôt, ont une relation. La rumeur leur ayant été rapportée individuellement, André et Eveline tombent dans le même piège : chacun, à force de se remémorer certaines scènes qui les ont réunis par le passé, se convainc de l’amour que l’autre lui porte, sans partager pour autant cet amour. Mais la nature humaine est ainsi faite que la vanité est parfois la plus forte, si bien que, à force de se griser de cette « surenchère sentimentale », arrive ce qui devait arriver. En quelque sorte « forcés » à coucher ensemble, jamais les protagonistes ne se douteront qu’ils ont été le jouet des racontars, ou plutôt de leur propre imagination qui s’est emballée à partir de ce qui n’était pas. Leur relation, évidemment, tournera court très rapidement.
La fin de ce roman un brin boulevardier, où on commence à bien reconnaître la manière de Fosca, est une trouvaille. Deux ans plus tard, Eveline finit par céder aux vœux d’une jeune adolescente qui lui demande de lui raconter sa plus grande passion amoureuse. Suzon s’imagine à tort qu’Eveline a vécu une vie trépidante, et celle-ci, pour ne pas la décevoir, et peut-être aussi parce que les histoires racontées sont parfois plus vraies que celles de la réalité, au point qu’on en vient à y croire, lui révèle avoir eu une aventure extraordinaire avec un dénommé Marchessy. Une fois de plus, Eveline ne peut s’empêcher de récrire son histoire selon l’image qu’on se fait d’elle, sauf que pour Suzon, qui contre toute attente connaît Marchessy – car ses parents l’ont récemment invité deux fois à dîner –, cet homme « ridé, fripé, à demi chauve, et la moustache toute blanche », ne correspond d’aucune manière à un modèle susceptible de susciter le grand amour. Tandis que Suzon s’est mise à pleurer, Eveline, qui se méprend sur la cause des pleurs, est « émue et profondément flattée » Sans doute Eveline parvient-elle à mettre un peu de baume sur sa contrariété passée et à adoucir l’amertume qu’elle a pu retirer de l’échec de son aventure avec Marchessy, mais le lecteur sait ce qu’Eveline ignore encore : nous ne vivons que dans l’imaginaire, d’abord parce que les autres construisent ce que nous sommes, ensuite parce que nous passons notre vie à essayer de nous conformer à cette représentation imaginaire.
Portrait du héros en peintre
Les désillusions, les rêveries sentimentales, les rencontres fortuites, les méprises amusantes, les petites escroqueries, tout cela balise le décor des derniers romans de Fosca, qui a cette fois situé ses personnages dans une atmosphère qu’il connaît bien, celle de l’art et de la peinture. La rencontre, dans Derechef (1927), entre le peintre académique Jacques Malestré, qui s’est marié à 40 ans après une vie de bohème et une certaine réputation de noceur (« le Don Juan de la palette »), et la jeune artiste Noémi Morrow, qui est la fille de la femme de Briquart, l’ami intime de Jacques maintenant décédé, peut rappeler le hasard de la rencontre entre Monique et Félicien dans La berlue. En développant la relation entre Jacques et Noémi, qui bientôt deviendront amants, Fosca réactive les trouvailles railleuses des romans précédents. Ainsi Jacques s’étonne-t-il que Noémi connaisse des épisodes de sa vie ; après avoir interrogé la jeune fille, celle-ci lui avoue avoir lu sa correspondance avec Briquart. Il y a là des pages savoureuses, où Noémi fait preuve d’une connaissance de la vie amoureuse de Jacques mieux que celui-ci, qui en a un souvenir parfois défaillant ! Plus tard, après qu’il eut fait une critique sévère de la peinture de Noémi (car elle est moderne, c’est-à-dire du côté des impressionnistes et des fauves, alors que Jacques se décrit lui-même comme « un homme du dix-huitième siècle »), elle s’effondre, contrainte de lui avouer qu’elle est tombée amoureuse de lui en lisant sa correspondance ! La finesse et l’ironie de ces épisodes rappellent le marivaudage de L’amour forcé. Auprès de Noémi, qu’il rencontre à son atelier, Jacques retrouve sa vie de jeunesse, essaie de faire une peinture plus moderne. Il mène ainsi une double vie, car chaque soir il rejoint sa femme et ses enfants. Mais le cynisme de Fosca ne s’arrête pas en si bon chemin : femme et maîtresse tombent toutes deux enceintes du peintre, avant que Noémi ne meure des suites de la céruse qu’elle a prise pour avorter. Dans l’une des dernières scènes du roman, Jacques veille le corps de la morte avec la mère de Noémi, cependant que cette mère, défaite par la douleur, remercie pour son dévouement celui qu’elle ignore être en quelque sorte l’assassin de sa fille. Ce roman, qui ne manque pas de piquant, est aussi une critique du type bourgeois incarné par le peintre, car si Jacques « n’avait guère de sens moral, il avait des préjugés, auxquels il tenait d’autant plus qu’ils étaient irraisonnés ; et quatre ans de mariage et de vie bourgeoise les avaient renforcés, en même temps que s’émoussait son audace de jadis. Il souhaitait faire de Noémi sa maîtresse, mais en l’abusant ». Cet « abus » conduit Noémi à la mort, comme auparavant Monique et Léonce d’Aigrepelisse (Les dames) ont été victimes, qui de l’agressivité impulsive de Félicien, qui de l’ambition crapuleuse de Lucy Molière.
Le dernier roman de Fosca, C’était hier l’été (1933), titre qui emprunte à un vers de Baudelaire (« Chant d’automne »), est un roman d’apprentissage, un roman d’évolution vers l’âge d’homme. Cette tranche de vie formatrice de l’adolescence de Paul Cinque tient lieu à elle seule d’action, de sorte que les événements ne sont constitués que de variations sentimentales et intellectuelles. Paul Cinque est un orphelin qui a été élevé à Genève, dont le tuteur était un amateur de peinture. À dix-neuf ans, au cours d’un séjour à Florence, où il épuise ses derniers sous, Paul fait la rencontre d’un peintre déjà âgé qui se propose de l’héberger et d’en faire son élève. On comprend que Thomas Wroe est un peintre ni plus ni moins raté, et que, aigri et déçu de ne pas avoir su réaliser ses propres ambitions, il souhaite former Paul en espérant trouver un jour la reconnaissance et la réussite qui lui font défaut. C’est ainsi que Wroe apprend à Paul à peindre à l’Suf, comme les maîtres d’autrefois, car Wroe, fermé à l’art moderne, est complètement tourné vers les sujets mythologiques. Introduit dans des cercles d’amis de son mentor, Paul deviendra amoureux d’une femme plus âgée que lui, à qui il n’osera jamais se déclarer. Quelques années ont passé quand il fait la rencontre d’une jeune fille, Ninon de la Mare, qui essaiera de se jouer de lui ; la fin du roman, sur le ton un peu boulevardier qui parfois anime la morale mordante de l’auteur, mais qui tranche curieusement avec tout le reste de C’était hier l’été, laisse le héros entre les bras d’une ultime femme, rencontrée dans des circonstances abracadabrantes, et le lecteur indécis quant à la suite des choses.
Dans un post-scriptum, possible clin d’œil ironique à Goethe3, Fosca écrit : « L’auteur interrompt ici le récit des années d’apprentissage de Paul Cinque. Si les circonstances sont favorables, il racontera, dans un second volume, comment elles se terminèrent ». Ce roman n’aura jamais de suite ; mais Paul Cinque, mentionné au passage dans Derechef, était marié (« il a une femme capable de distinguer un Ingres d’un Monticelli, de donner un avis »), sans qu’on sache quelle femme il avait épousée. Bref, si le lecteur y tient, et contre Fosca, Paul Cinque eut quand même un avenir après C’était hier l’été
John Charpentier, critique du Mercure de France, faisait au sujet des Dames des Boisbrûlon un commentaire qui vaut sans doute pour l’ensemble de la production de Fosca après Monsieur Quatorze : l’œuvre de Fosca, disait-il, « vaut plus par les détails que par le dessin général ou par les parties que par l’ensemble4 ». Cela est assez juste, et témoigne de l’œuvre d’un esthète. Le lecteur trouve son plaisir dans la finesse des petites notations psychologiques, la véracité des dialogues, l’inattendu des scènes et la plaisanterie acerbe de l’auteur, qui se tient toujours à une certaine distance de l’histoire, portant rarement un jugement sur ses personnages, mais dont l’œuvre reste néanmoins celle d’un « amer moraliste5 ».
Avec C’était hier l’été, il semble que Fosca ait clos un chapitre de sa carrière littéraire. Comme si, avec ce livre – qui est aussi, semble-t-il, le plus autobiographique de ses romans –, il avait terminé ce qu’il avait à dire d’une certaine manière. En 1937, année où il publie son Histoire et technique du roman policier, il fait paraître deux romans policiers, La femme décapitée et Séquence de meurtres, sous le nom anglophone de Peter Coram. C’est dès lors une nouvelle carrière littéraire qui semble s’ouvrir pour Fosca, donc une troisième manière après le roman d’aventures et le roman psychologique. En fait, Fosca se dissimule sous un habile stratagème : Fosca a inventé un auteur anglais portant le nom de Peter Coram, dont il prétend traduire les romans. La critique s’y laissa prendre facilement. Louant La femme décapitée, Henri Martineau se permettait même, dans un compte rendu du roman dans la revue Le Divan, de reprendre le traducteur : « Une seule petite critique au traducteur : il a tort de faire se tutoyer deux Anglais. Mais retenons ce nom : Peter Coram, et demandons qu’on traduise bientôt d’autres romans de cet auteur6 ». Le stratagème fonctionna d’autant plus que Fosca, tout en « traduisant » Peter Coram, traduisait aussi de « vrais auteurs », sans compter qu’il lui arrivait aussi, parfois, de signer un polar sous le nom de Fosca… Il y a quelques mois encore, un libraire parisien, spécialiste du polar, me disait ignorer que Peter Coram n’était pas un auteur anglo-saxon. Comme quoi les canulars ont parfois la vie longue ; mais il est vrai que, tombé dans l’oubli depuis si longtemps, Fosca n’intéresse plus personne…
1. Honoré de Balzac, préface à l’Histoire des Treize, Garnier-Flammarion, Paris, 1988, p. 67.
2. François Fosca, L’amour forcé, présentation de François Fosca par Louis Martin-Chauffier, « Le Conciliabule des trente », Au Sans Pareil, Paris, 1927, p. 12.
3. Après avoir fait paraître Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister, Goethe avait publié environ 25 ans plus tard la suite du parcours de son héros (Les années de voyage).
4. John Charpentier, « Les dames de Boisbrûlon, par François Fosca », Mercure de France, Paris, 15 juin 1926, p. 678.
5. Henri Martineau, « François Fosca, L’amour forcé », Le Divan, Paris, 1928, p. 130.
6. Henri Martineau, « Peter Coram : La femme décapitée », Le Divan, Paris, 1937, p. 126.
François Fosca a publié, entre autres :
Romans : Monsieur Quatorze, Grasset, 1923 ; La berlue, Le Divan, 1925 ; Les dames de Boisbrûlon, Kra, 1926 ; Derechef, Kra,1927 ; L’amour forcé, Au Sans Pareil,1927 ; C’était hier l’été, Plon, 1933.
Romans policiers : La boîte de cèdre, De la Frégate,1943 ; Du côté de chez Fyt, Utiles,1944 ; L’homme qui tua Napoléon, Utiles, 1944 ; À tâtons , Utiles, 1944.
Sous le pseudonyme de Peter Coram : La femme décapitée, Nouvelle revue critique, 1937 ; Séquence de meurtres, Nouvelle revue critique, 1937 ; L’affaire Mercator, Nouvelle revue critique, 1938 ; C’est au mort à parler, R. Simon, 1939 ; Ces messieurs de la famille, Utiles, 1944 ; La corde pour le pendre, Albin Michel, 1948.
EXTRAITS
Pensez qu’il y a deux ans, lorsque je fus assez gravement malade, non seulement il me soigna avec le plus grand dévouement, mais resta un bon mois sans boire autre chose que de l’eau. Mais aussi, dès que le médecin me déclara hors d’affaire, quelle débauche il fit ! De mon lit je l’entendais hurler des fragments de Platon sur l’air des Folies d’Espagne, le seul qu’il connaisse. J’en riais si fort que je crus qu’il me faudrait faire revenir le médecin.
Monsieur Quatorze, Grasset, 1923, p. 48.
Pendant huit jours toutes les filles et les femmes de Cré, de Bazouges, de Gouis, de Fougeré, furent mises sous clef par leurs familles affolées. Une nuit qu’il rôdait par les routes, affamé de chair fraîche, il fut rencontré par le curé de Bazouges, qui le prit pour le diable, et voulut l’exorciser. Ratabouille lui répondit avec des fragments du Misopogon et de Celse. Le curé s’apercevant enfin de son erreur, prétendit le réfuter, et en latin. Ce devait être un beau spectacle que ce colloque théologique sur le bord de la route, non loin du Loir paresseux, tandis que les deux adversaires se bombardaient de citations des Pères, qui volaient jusqu’aux étoiles. Voilà ce qu’est Ratabouille.
Monsieur Quatorze, Grasset, 1923, p. 48.
Vous m’avez dit que je pouvais tâcher de distraire le prisonnier en lui tenant compagnie, ajoutant qu’elle lui serait probablement désagréable, car il devait m’en vouloir de l’avoir ainsi dupé. S’il a voulu se venger sur moi du tour qu’on lui a joué, il n’a que trop bien réussi Il faut que je m’explique. J’ai été lui rendre visite ; et à ma grande surprise, il m’a reçu le plus galamment du monde. « Pour moi, m’a-t-il dit, vous serez toujours la marquise Ariaspini, la femme la plus séduisante que j’aie jamais rencontrée. » Nous avons longuement bavardé, et il m’a fait passer une journée charmante. Si vous m’aviez vu lui donner la becquée ! Nous riions comme des fous. Il m’a raconté des histoires, m’a fait les compliments les plus délicats Cet homme-là, mon cher Monsieur Quatorze, avec son faux toupet et son ventre, en voilà un qui sait parler aux femmes ! Enfin, tant pis, il faut que je me confesse jusqu’au bout. Je suis tombée amoureuse de lui, mais follement amoureuse. Tant et si bien que mais vous devinez le reste. Il est toujours attaché, rassurez-vous : les nœuds que fait Poil follets sont solides. Mais, comme dit la chanson, l’amour se rit des obstacles. Vous allez vous fâcher, peut-être. Mais, après tout, vous m’avez dit de le garder prisonnier, n’est-ce pas ? Hé bien, il l’est. Que vous importent les moyens que j’emploie ?
Monsieur Quatorze, Grasset, 1923, p. 264-265.