Dramaturge, poète, romancier, André de Richaud (1907-1968) a laissé une œuvre abondante ; personnalité complexe, personnage pittoresque dont le souvenir est longtemps resté vivant dans le quartier Saint-Germain, il pourrait partager avec Jean Genet la formule de Sartre « comédien et martyr ».
Homme aux masques divers, il a fondé toute son œuvre sur la dualité entre rêve et réalité, ombre et clarté, aveu et dissimulation.
Une jeunesse orpheline
Né à Perpignan, en 1907, d’un père professeur tué dès le début des hostilités, André de Richaud est conduit par la guerre de 1914 à Althen-les-Paluds, dans le Vaucluse, chez le grand-père maternel, et c’est dans cette région, au pied du mont Ventoux, arrosée par la Sorgue, que Richaud situera une grande partie de ses romans. Il y passe une enfance et une adolescence très solitaires – situation qu’il transposera dans La douleur –, auprès de sa mère qui, à son tour, disparaît en 1923. L’année suivante, il entre au pensionnat de Carpentras avant de poursuivre, à partir de 1926, des études de droit et de philosophie à Aix-en-Provence. C’est là qu’il rencontre Pierre Seghers qui deviendra son éditeur et qui évoquera cette jeunesse dans un texte d’hommage intitulé « Richaud du Comtat1 », dans lequel il montre le caractère précocement théâtral de son camarade.
À vingt ans, en 1927 donc, Richaud publie son premier livre, Vie de saint Delteil, consacré au poète et romancier Joseph Delteil, ouvrage étonnant dans le choix de son objet et par le ton adopté ; en effet, quand on connaît l’œuvre telle qu’elle se développera par la suite, il faut remarquer ce qu’a de singulier l’intérêt du jeune Richaud pour Delteil qui, à cette époque, finit de traverser sa période surréaliste et parisienne avant de regagner son Midi natal. Richaud, qui va construire son imaginaire littéraire sur la violence du désir et la puissance du mal, s’intéresse à un écrivain qui, certes, est comme lui un méridional très attaché à sa terre d’origine mais qui surtout s’oriente vers une plénitude existentielle, une sorte de franciscanisme pour lequel le mal n’existe pas : tout se passe comme s’il était, avec Delteil, confronté à un « double » inversé et à une vocation diamétralement opposée à la sienne. Il y a là un paradoxe fondateur de toute l’œuvre à venir, tendue entre ces deux pôles du péché et de l’innocence.
L’entrée en littérature
Devenu professeur de philosophie au lycée de Meaux, ce qui le rapproche de Paris, André de Richaud compose, entre 1928 et 1930, un poème tout à fait étrange, intitulé La création du monde, publié par Bernard Grasset qui croit beaucoup au talent du jeune auteur, tout comme François Mauriac, parrainages lui facilitant l’entrée dans les milieux artistiques dont il avait tant rêvé depuis sa province provençale, sans compter le compte rendu enthousiaste qu’en donne Joseph Delteil lui-même et qui s’achève par : « Ouvrons la poitrine, ouvrons l’œil : un poète nous est né2 ». Cet étrange poème qui, comme le dit Marc Alyn3, serait plutôt une « prose lyrique », pose au principe de l’inspiration l’alcool dont on sait l’importance qu’il a prise dans la vie et l’œuvre de Richaud : « Paie-m’en encore un pot et je commence la création du monde », lit-on au début d’un récit qui récrit, à sa manière, la Genèse. On y découvre que le Diable est la part trouble du subconscient de Dieu et que le Mal, radicalement séparé du Bien, devient un être autonome ; quant à Adam et Èv – eux-mêmes figures du double –, perdus dans un univers trop vaste pour eux, ils trouvent au fond de leur sommeil le dernier présent de leur Créateur, le songe, refuge ultime des humains devant la peur et l’ennui. Mais la question qui se pose est de savoir si cette faculté de rêver est véritablement un don divin ou, a contrario, une ruse du Malin utilisant le délire du sommeil pour amener les créatures à détester le réel. Parallèlement, avec ce texte, à plusieurs titres « fondateur », Richaud met en place tout un système de signes, d’emblèmes – le feu, les astres – qui commande sa poétique telle qu’elle se déploie dans les textes ultérieurs.
Au début des années 1930, il rencontre son premier succès au théâtre puisque Charles Dullin monte successivement à l’Atelier Villages et Le château des papes (pièce dont la musique de scène est composée par Darius Milhaud) ; toutefois, c’est avec son roman La douleur (1931) qu’il connaît la consécration et fait une entrée aussi remarquable que remarquée dans le domaine romanesque de l’époque, laquelle, rappelons-le, est particulièrement féconde. Fait notoire pour l’histoire littéraire, Richaud, qui finira sa vie dans la misère et l’oubli, n’avait pas vingt-cinq ans quand il fut célébré par les critiques et les écrivains les plus en vue de son temps, Mauriac, on l’a dit, Bernanos ou Green, pour ne citer qu’eux.
À rebours du poème inaugural, La douleur serait plutôt le récit de la fin d’un monde, de même que les œuvres suivantes, représentant davantage un effondrement qu’une édification. L’action se situe pendant la Première Guerre mondiale, le décor en est un village très ressemblant à Althen, la famille du début semblable à celle du futur écrivain : les biographèmes sont évidents ; ajoutons-y le père tué au front, les années de huis clos entre la mère et le fils, la solitude de l’enfant.
L’intrigue se noue – et c’est là que nous entrons dans la fiction – , quand s’établit entre la mère et un prisonnier allemand une relation amoureuse, condamnée bien évidemment par l’entourage mais, surtout, cause de souffrance affective pour le jeune témoin. Avec ce roman, nous sommes dans la veine de ces œuvres qui, entre 1920 et 1930, ont pris le contre-pied d’une littérature « héroïque », peignant de façon idéalisée les protagonistes de la Grande Guerre, que ce soit au front ou à l’arrière ; il n’est pas étonnant que le rapprochement ait été souvent fait entre le récit de Richaud et Le diable au corps (1923) de Raymond Radiguet. Ce qui est frappant dans La douleur, ce n’est pas tant le conflit armé – qui est géographiquement très loin – que celui entre les codes sociaux et le désir : dans cette bourgade, figée dans ses conventions, chacun doit jouer le rôle qui lui revient, il ne s’agit pas d’être mais de paraître ; Madame Delombre – apprécions l’onomastique – doit jouer la veuve éplorée, Georges, son fils, l’orphelin affligé. Tous deux, au sein de cette atmosphère étouffante, referment encore un peu plus le couvercle dans la mesure où la mère rabat son besoin d’amour sur son « petit », qu’elle ne veut pas voir grandir, ne pas voir entrer dans le Temps ; cependant, le corps travaille, la mère possessive devient à son tour possédée et la femme privée de mari finit par se prendre de passion pour le soldat « ennemi », plus jeune qu’elle, ce qui lui permet de conjuguer l’attrait sexuel et l’instinct maternel. Les rendez-vous nocturnes des amants ne peuvent en rien être ignorés des voisins et, une fois la lumière faite, ce sera le scandale et la catastrophe.
« Ce livre est un livre de nuit »
L’un des paradoxes de Richaud a été de donner du Midi, contre tous les clichés, une image nocturne avant même que Giono, dans ses entretiens et dans ses livres de l’après Deuxième Guerre mondiale, parle d’une « Provence noire » ; c’est un univers marqué par la violence, la haine, la mort, totalement étranger au paganisme heureux qui peut habiter certaines visions du Sud, en littérature comme ailleurs, laissant libre cours au désir. La douleur est en fait un livre des interdits, un livre où c’est la confession – celle du fils auprès d’un prêtre et entendue par une bigote – qui déclenche le malheur : le vœu de purification aboutit à la condamnation finale, tracée sur la maison de la traîtresse par les processionnaires d’un enterrement : « Les lettres étaient maladroitement faites, mais implacablement lisibles. […] Noires, luisantes, répandant une bonne odeur de goudron frais. […] Il y avait écrit : BORDEL FRANCO-BOCHE ».
L’énormité de l’inscription sur le mur fait évidemment contraste avec l’aspiration au secret et couvre littéralement d’infamie le prétendant à une candeur nouvelle. L’impossible innocence, l’improbable clarté du cœur, Richaud continue à les traquer dans des récits obscurs, tant sur le plan de l’ambiance que du genre narratif, notamment avec La fontaine des lunatiques (1933), moins un roman qu’un « poème romanesque », toujours selon Marc Alyn, où trois personnages, le grand-père, le père et le fils – c’est presque une famille trinitaire –, vivent entièrement reclus dans leur « Maison », entourée d’un parc laissé à l’abandon ; seule une vieille servante pourvoit au quotidien. Pourquoi ce titre? Le narrateur en donne l’explication à peu près au tiers du récit, alors que le petit-fils, Hugues, est venu pour la première fois de sa vie au bourg afin de demander l’autorisation d’ensevelir le grand-père dans leur propriété. « Le centre du pays n’est pas l’église, comme cela se voit ordinairement, mais la Fontaine des lunatiques, qui se trouve au milieu de la grand’place. C’est une grosse sphère en pierre, percée d’un trou à chaque point cardinal. La boule est gravée de signes mystérieux qui sont ceux d’un zodiaque fantastique, les animaux ordinaires de la carte céleste étant remplacés par des monstres. Par les trous de la boule s’échappe une eau pétillante, à reflets dorés qui – d’après la tradition – contient de l’or et rend fou. » Tenté, le jeune homme plonge sa main dans le bassin et la porte à ses lèvres quand, d’une fenêtre, une voix lui crie : « Ne buvez pas ! Ne buvez pas ! C’est l’eau qui rend lunatique ! » On sait l’influence de l’astre blême sur le tempérament et son lien avec la folie, la mélancolie, la fascination pour la vie des morts. Les fossoyeurs ayant découvert dans le caveau familial une ancienne sépulture d’où s’échappe un bruit mystérieux, Hugues et son père décident de l’ouvrir à la faveur de la nuit. Le décès de l’aïeul sert ainsi d’embrayeur à un conte surnaturel puisque le cercueil profané révèle le cadavre merveilleusement intact d’une jeune femme. « Bien qu’enterrée depuis plus de cinquante ans, elle était aussi jeune, aussi belle que si elle allait s’éveiller. Un coq chanta dans la campagne et l’on s’attendait à lui voir ouvrir les yeux. Sa robe de mariée (morte deux jours avant son mariage on lui avait donné la robe des jeunes épousées) était toute fraîche. […] Les paupières à demi fermées laissaient passer un regard bleu et froid qui était trop vivant et les lèvres étaient entrouvertes comme si un souffle les animait. […] Tout à coup, la tête de la jeune fille parut trembler un peu et les deux hommes, au moment où ils n’y pensaient plus, eurent l’explication du bruissement que l’on entendait dans le cercueil. Le collier vert que la morte paraissait avoir autour du cou et qui leur avait semblé être un ruban, glissa sur la chair et une minuscule tête de serpent apparut près de l’oreille. Rapidement l’animal se déploya, siffla un instant sur le bord du cercueil et s’enfuit dans l’herbe. » On voit par là que Richaud s’est mis dans le sillage des grands auteurs de l’inquiétante étrangeté, Edgar Allan Poe, Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle-Adam
Le rouge et le noir
Cependant, au thème lunaire succède, en 1938, le saturnien avec La barette rouge, récit entièrement marqué par la démence et la pulsion meurtrière4. Il est évident, à lire l’œuvre de Richaud, véritable ruche pour le psychanalyste, qu’elle est traversée par des thèmes – voire des termes – obsessionnels, comme si l’auteur voulait revenir sans cesse sur « les lieux du crime » en un mouvement de spirale, ascendante ou descendante, c’est selon, permettant d’aller toujours plus loin dans l’exploration du cœur humain, cette fois sous l’influence de Dostoïevski, souvent convoqué, en l’occurrence, par la critique.
De même que dans La douleur, l’intrigue se déroule dans la région du mont Ventoux, là où vit Siffrein, un jeune ouvrier agricole définitivement désaxé par une enfance faite de misère et de violence ; son père, alcoolique et brutal, était allé jusqu’à lui marquer le ventre au fer rouge d’un « V », comme voleur, pour le punir d’avoir dérobé, chez l’épicière, un « petit morceau de gruyère ».
La faute est donc ineffaçable – symbolisée par cette « lettre écarlate » –, à quoi s’ajoute un deuxième traumatisme : gravement malade, l’enfant est envoyé chez une tante et son père menuisier, le croyant trépassé, fabrique un cercueil avec lequel il se présente devant son fils, qui se perçoit à ce moment comme un mort-vivant. Fait retour ici la juvénile défunte de La fontaine des lunatiques, les personnages de Richaud se dessinant la plupart du temps dans cet entre-deux, à la lisière de cette indécidable condition. Enfin, la troisième blessure de Siffrein tient à son initiation sexuelle, la libido dans l’imaginaire richaldien étant elle aussi placée sous le signe de l’ambivalence : jeune homme, il assiste, à travers une fenêtre, à une scène où le mari fouette longuement sa femme nue avant de la posséder, ce qui, on s’en doute, le trouble profondément et lui fait croire que l’amour a partie liée avec la souffrance.
C’est dans cet état d’esprit qu’après l’assassinat d’une vieille femme et un temps d’errance, il arrive une nuit devant une bâtisse isolée, « La Barette rouge », hantée par le souvenir d’un cardinal rebelle qui aurait eu commerce avec le Malin, et habitée par la dernière représentante de la famille Murail, Esther, âgée d’une trentaine d’années, complètement isolée du village voisin. Mélancolique, rêveuse, éprouvant à la fois désir et crainte pour l’homme, elle fait entrer dans sa maison celui qui est simultanément pour elle le même et l’autre5 ; violemment attirée par lui, elle cherche à le fuir, il la retient, la déshabille, la frappe une première fois – en écho de la scène « primitive » –, avant qu’en un dernier épisode il la supplicie au point de la tuer en même temps qu’elle aura découvert le plaisir. Il ne lui reste plus qu’à se pendre devant le portrait du cardinal luciférien.
La barette rouge se présente donc comme un roman extraordinairement puissant quant aux pulsions premières – désir, cruauté, répétition – et montre que pour André de Richaud, nul être ne peut jamais s’épanouir, condamné jusqu’à la mort à la réclusion intérieure, que ce soit dans les images de l’ermite ou de l’enterré vivant.
Le masque et ses doubles
En 1945, André de Richaud fait paraître une fable tout à fait curieuse, La nuit aveuglante, qu’on peut lire sans difficulté comme une autobiographie déguisée – ou ce qu’on appellera plus tard avec Serge Doubrovsky, une autofiction – mais qui a toutes les allures, après La fontaine des lunatiques, d’un conte fantastique : lors d’une procession, un jeune garçon prend le pari d’effrayer son entourage en arborant le masque du Diable, plaisanterie qui réussit fort bien sauf qu’au moment de le retirer le faux visage colle à la peau du plaisantin, devient le sien propre et fait de lui le Maudit. « Un masque affreux, rouge sang, surmonté de deux bourgeons de cornes, comme des escargots, aux tempes. Le masque du Diable, quoi ! »
Ni médecins ni exorcistes n’y pouvant rien, le malheureux est condamné à porter un voile sur son masque afin de sortir de chez lui et finit par fuir le domicile de ses parents – autre situation récurrente chez Richaud – pour se réfugier, en une réclusion absolue, dans une maison qu’il baptise ironiquement « Villa Sainte-Farce » parce que, dit-il, il « aime les calembours et les à peu près de mauvais goût, et aussi l’irrévérence », raison pour laquelle il l’aurait aussi volontiers appelée « Villa Sainte-Face ».
Au-delà de l’histoire, celle de la déréliction primitive et dernière de la créature humaine, il faut remarquer l’usage très particulier des pronoms qui supportent l’instance narrative : tantôt la première personne, tantôt la troisième pour le même acteur – Cyprien –, lieu du dédoublement, « figure » duelle, voix schizophrène, selon l’aveu même de l’auteur : « Je dis il ou Cyprien et je suis un autre qui va et vient dans mon récit, qui s’assoit ou marche ». Ce qui montre que, malgré le caractère très personnel de ses fictions, Richaud maîtrise parfaitement les techniques d’écriture qui permettent à un romancier de canaliser les sources de son inspiration.
Au demeurant, c’est sa vie même qui s’est écrite d’une manière surprenante, le tracé fatal – d’une solitude précoce à une fin solitaire – n’ayant pas empêché des épisodes aussi inattendus qu’heureux, le plus singulier étant la rencontre que fait Richaud, à la fin des années trente, de Jeanne et Fernand Léger, dont il devient le protégé. Le peintre est riche et célèbre, sa femme, beaucoup plus jeune que lui, en mal d’affection peut-être : autant de motifs qui font s’installer l’écrivain fêté dans une situation matériellement privilégiée – hôtel particulier à Paris, villa sur la côte d’Azur – et psychologiquement ambiguë. Fernand Léger en faux père mais vrai nourricier, Jeanne en fausse maîtresse mais vraie compagne, André en faux fils mais vrai prodigue ; une existence qui, pendant une quinzaine d’années, permettra à Richaud de se dissimuler derrière le masque de la facilité, du talent, de la mondanité. À la mort de Jeanne, en 1950, tout s’écroule et l’« enfant », une fois encore orphelin, s’installe à Paris, rue des Canettes, dans un hôtel tenu par Céleste Albaret, l’ancienne gouvernante de Marcel Proust6 : privé de ressources, plus que jamais intempérant7, il frôle la clochardise, mais fréquente Boris Vian, Albert Camus, Luis Buñuel et participe à l’activité littéraire, notamment en revenant au théâtre grâce à l’amitié de Michel de Ré et de Michel Piccoli qui vont le soutenir en fondant la Société des Amis de Richaud.
C’est ainsi qu’il peut publier, en 1953, Retour au pays natal et, en 1956, L’étrange visiteur, deux titres importants pour l’économie de l’œuvre dans la mesure où en chacun de ces textes se lit la tension entre la réalité présente – l’enfermement parisien – et le rêve de l’origine ; mais dans la conscience, malgré tout, que vouloir remonter le temps est un leurre et que ce désir ne peut mener qu’à un désastre. L’étrange visiteur joue ainsi avec le mythe d’Œdipe, emblème de la faillite due au chemin parcouru à rebours. Après l’installation de Richaud à l’hospice des vieillards de Vallauris – il a cinquante-trois ans8 –, suit une période de silence dont le tire l’éditeur Robert Morel, en 1965, avec un « testament » tout à fait poignant, Je ne suis pas mort. Le texte fait grand bruit dans la presse, les milieux littéraires se mobilisent, jusqu’au ministre de la Culture, André Malraux, et on donne à Richaud le prix Roger-Nimier, fraîchement créé ; l’écrivain se remet donc au travail en entreprenant une Fin du monde, qui serait un pendant à la Création du monde, mais sans avoir le temps de l’achever, ironie du sort oblige. Il meurt à l’hôpital de Montpellier le 29 septembre 1968 et sera inhumé à Althen-les-Paluds – retour au pays natal ! – auprès de sa mère
Une enfance privée de père, une jeunesse comblée de bonnes fées – Seghers, Delteil, Grasset, Dullin – , un succès littéraire quasi sans nuance, une « adoption » inespérée par un couple richissime, une retombée dans l’anonymat et la misère, le secours de personnalités bienveillantes, l’espoir du retour à la lumière, la déchéance finale : la vie de celui qui ne fut certainement pas « saint Richaud » peut être lue comme une succession d’épisodes où un masque se superpose à un autre. Mais c’est dans la fiction, où la réalité ne cesse de se dérober, et en tant qu’elle se veut transposition du théâtre intime, que la vérité de l’écrivain se révèle, rouge ou noire, jamais transparente, toujours profonde.
1. Préface à l’édition de luxe de La création du monde, illustrée par Jean Lurçat (1949), reprise partiellement dans André de Richaud, Le Temps qu’il fait, Cahier 3/4, dirigé par Patrick Cloux, 1985, p. 141-143.
2. Joseph Delteil, « La santé, la vue et le petit oiseau » paru dans Les Nouvelles Littéraires du 1er novembre 1930 et repris dans L’homme coupé en morceaux, Le Temps qu’il fait, 2005, p. 159-162.
3. Marc Alyn, André de Richaud, « Poètes d’aujourd’hui », Seghers, 1966.
4. Très curieusement, le titre, qui reprend le nom de la maison où se déroule le drame, s’écrit « Barette » alors que l’attribut du cardinal, dans le texte, est orthographié « barrette » (La barette rouge, « Les Cahiers rouges », Grasset, 1987, p. 103).
5. Ce motif de la liaison interdite reprend évidemment celui de La douleur.
6. Ses souvenirs, recueillis par Georges Belmont, ont paru sous le titre Monsieur Proust chez Robert Laffont en 1973.
7. Roger Grenier raconte dans Fidèle au poste : « Alcoolique, presque clochard, on le croisait boulevard Saint-Germain, tendant la main : ‘Vous n’avez pas cinq francs ?’ Ou, à ceux qu’il connaissait : ‘Ce sera comme d’habitude’. Au cours d’une réception pas assez arrosée, chez notre consœur de la radio Claudine Chonez, je l’ai vu s’introduire dans la salle de bains et boire de l’eau de Cologne ». (Gallimard, 2001, p. 36).
8. « Je pense à Richaud qui a pris sa retraite de misère, vieillard avant l’âge, mort à la littérature, et finalement hospitalisé dans un asile d’indigents », écrit José Corti dans ses Souvenirs désordonnés (-1965) [1983], 10/18, 2003, p. 199.
Œuvres principales d’André de Richaud :
Vie de saint Delteil [1928], essai, Calligrammes/Le Temps qu’il fait, 1984 ; La création du monde [1930], poème, Robert Morel 1968 et 1985 ; La douleur [1931], roman, « Les Cahiers rouges », Grasset, 1998 ; La fontaine des lunatiques [1933], récit poétique, Le Passeur, 1995 ; L’amour fraternel [1936], roman, « Les Cahiers rouges », Grasset, 2006 ; La barette rouge [1938], roman, « Les Cahiers rouges », Grasset, 1997 ; La nuit aveuglante [1944], roman, Deyrolle, 1996 ; La confession publique, journal, Seghers, 1944 ; Le mal de la terre [1947], nouvelles, Le Temps qu’il fait, 1989 ; La part du diable, six nouvelles publiées entre 1933 et 1948, Le Temps qu’il fait, 1986 ; Retour au pays natal [1953], nouvelle, Le Temps qu’il fait, 1990 ; Le droit d’asile, poèmes, Seghers, 1954 ; L’étrange visiteur [1956], roman, « Les Cahiers rouges », Grasset, 1988 ; Les reliques/Le secret/Le roi clos, théâtre, Fasquelle, 1956 ; Je ne suis pas mort [1964], récit, La Dragonne, 2002.