Née en 1898 et morte en 1932, l’organisme délabré par des années d’excès, Mireille Havet n’a guère réussi, de son vivant, à établir sa carrière d’écrivain. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, mais son amour du désordre l’entraîna toujours plus loin sur la voie de l’autodestruction.
Amie de Cocteau, dont elle partageait la manie de l’opium, elle fut, très jeune, la protégée d’Apollinaire, qui accueillit dès 1914 ses textes dans Les soirées de Paris. Mais son œuvre publiée devait rester ténue. Elle tient à un recueil de contes et poèmes préfacé par Colette, La maison dans l’œil du chat (1917), et à un roman, Carnaval (1922), qui enthousiasma Gide. C’est à la postérité qu’il appartient de découvrir son œuvre maîtresse, l’envoûtant Journal, dont la publication intégrale est en cours.
Une naufragée des Années folles
Comme l’écrivait dans ses Souvenirs (inédits à ce jour) sa grande amie et légataire de ses papiers Ludmila Savitzky : « Pour ce qu’elle était […], elle devait mourir jeune1 ». Qu’était Mireille Havet ? Une enfant prodige, révélant de bonne heure sa nature d’enfant terrible. Edmond Jaloux la plaçait, en 1942, aux côtés de Jacques Vaché, René Crevel, Jacques Rigaut et Raymond Radiguet, parmi un « cortège d’ombres douloureuses », « ceux de sa génération qui, refusant les conditions communes du monde, se jetèrent dans une aventure de caractère absolu, qui les conduisit à une mort précoce2 ». Noctambule, opiomane et lesbienne volage, Mireille Havet vécut sans contraintes ni tabous à une époque encore peu encline à tolérer les incartades du « beau sexe ». Dès 1919, la jeune femme confiait à son journal : « Je voudrais que grandir et devenir une femme ne soit pas synonyme de perdre sa liberté ». Elle vécut conformément à ce vœu mais sa dépendance aux drogues, jointe à un manque d’argent chronique, a provoqué sa chute. Elle n’avait que 33 ans et pas encore terminé d’imposer son nom dans le firmament littéraire de l’entre-deux-guerres lorsqu’elle mourut, seule et désemparée, emportée par la tuberculose. Sa redécouverte, 63 ans après sa mort, paraît miraculeuse. En 1995, Dominique Tiry, la petite-fille de Ludmila Savitzky, découvrit, en inspectant une fuite d’eau dans le grenier de sa maison de campagne en Touraine, une vieille malle qui n’avait jamais attiré son attention auparavant. S’y trouvait le journal de Mireille Havet, un ensemble de cahiers soigneusement numérotés, souvent annotés et si minutieu-sement établis qu’ils semblaient fin mûrs pour la publication. Les premiers feuillets datent de 1913 (l’auteure avait quinze ans) alors que le dernier s’interrompt en octobre 1929. Fait remarquable : ces cahiers, écrits avec zèle et exaltation, ne comportent presque pas de ratures. La retranscription de ce « Journal-monstre » selon l’expression de Philippe Lejeune eut tôt fait de révéler une diariste de haute volée qui a bien failli ne jamais trouver son lectorat.
Dans le voisinage de Zola et de Balzac
Mireille Havet a vécu sa petite enfance à Médan, cette coquette commune des Yvelines où Zola avait acquis une résidence en 1878, devenue par la suite le lieu de réunion des naturalistes. Pour Mireille, Médan faisait l’effet d’un vert et bucolique cocon. Grande lectrice de Francis Jammes, du Grand Meaulnes et des Claudine, elle en garderait le plus doux souvenir après que sa famille se fut installée à Paris, rue Raynouard, dès 1907. À cette époque, Passy offrait encore un cadre de vie presque champêtre. Tout près du nouveau domicile des Havet se trouvait une maison jadis occupée par l’auteur préféré de Mireille, Balzac. Déguisé sous le faux nom de « M. de Breugnol » dans l’espoir d’échapper à des créanciers insistants, Balzac y avait achevé les seize premiers volumes de la Comédie humaine.
Henri Havet, le père de Mireille, était un petit rentier de la peinture, alors que sa mère, Léoncine, venait d’une famille de négociants nantais. Mireille et sa sœur Christiane, née en 1883, étaient leurs deux seuls enfants. Dès 1908, les Havet prirent l’habitude de passer leurs étés à la Chartreuse de Neuville, un cloître réaménagé en résidence d’artistes. C’est là que Mireille fit la connaissance de Ludmila, une comédienne à qui l’on devrait plus tard des traductions de Woolf et de Joyce. À Neuville, les Havet jouissaient d’une atmosphère propice à l’activité créatrice : concerts, récitations poétiques, représentations théâtrales et expositions égayaient leur quotidien d’estivants. Mais en 1911 survint un drame qui assombrit l’adolescence de Mireille : l’internement de son père à Ville-Évrard en Seine-et-Marne avec un diagnostic de « dépression mélancolique ». Ce fut un rude choc pour Mireille : « Mon pauvre père était si fou / les derniers temps / qu’il cassait ses vitres / rien que pour pouvoir / s’y déchirer les bras3 ». Il décéderait deux ans plus tard dans des circonstances floues, sans doute des suites d’un suicide. Léoncine et ses deux filles connurent ensuite la précarité matérielle mais la veuve du peintre, éprise de luxe et d’élégance, parvint à préserver l’illusion d’aisance et de bonheur. Ainsi certains jours, Mireille « allai[t] dans le monde correctement habillée et de bonne humeur, sans avoir cependant déjeuné, ni même dîné la veille, [s]a poche vide, complètement et parfaitement insouciante et heureuse4 ». L’enfant-poète était née.
De la « petite poyétesse »…
Les plus anciens poèmes connus de Mireille Havet datent d’août 1912. L’adolescente lisait alors Flaubert (Trois contes), Dumas (Le comte de Monte Cristo) et Maeterlinck, dont elle plaçait la poésie au-dessus de tout. Elle-même écrivait de petits poèmes en prose, tristes, doux et intimistes, évoquant les émois de l’enfance. N’ayant pas encore pris conscience de son homosexualité – laquelle, sans l’empêcher de nouer des amitiés masculines, lui inspirerait une misandrie tenace –, elle s’enticha de Paul Fort, un poète de 26 ans son aîné. Alors au faîte de sa renommée, celui-ci aurait sans doute sombré dans l’oubli aujourd’hui si Georges Brassens n’avait mis en musique ses Ballades françaises. Mireille éprouva pour Paul Fort les premiers élans du sentiment amoureux, au grand dam de son prétendant d’alors, Pierre Izambard, qui séjournait lui aussi l’été à Neuville. Son père, Georges, est resté célèbre dans l’histoire littéraire pour avoir été le mentor de Rimbaud à Douai. Une autre personnalité marquante de la poésie française se lierait bientôt d’amitié avec la famille Havet : Guillaume Apollinaire. Pendant quelques années, la jeune fille et l’auteur d’Alcools entretinrent une correspondance animée. Ils avaient pris l’habitude de s’échanger des poèmes et de dialoguer sur un ton badin et affectueux. Ainsi Apollinaire écrivit un jour à Mireille, qu’il appelait « la petite poyétesse » : « J’ai reçu votre lettre épatante. Décidément, vous avez un sens exquis de l’art moderne […]. Vous êtes, Mireille, une gonzesse de premier ordre5 ». Apollinaire courtisait alors sa sœur Christiane, mais celle-ci lui préféra le poète suisse Paul Aeschimann, qu’elle épousa en 1914. Les poèmes de Mireille plurent assez à Apollinaire pour qu’il veuille les publier sans attendre. Dès décembre 1913, dans la deuxième livraison des Soirées de Paris (une revue fondée en 1912) paraissait le tout premier texte de Mireille : le récit « La maison dans l’œil du chat ». Madeleine Brisson, directrice de l’Université des Annales, lui adressa une lettre, le 18 janvier 1914, la comparant à « une nouvelle Mme de Noailles » : « J’ai rarement vu chez un enfant de votre âge tant de sensibilité anarchiste, tant d’émotion, tant d’instinct en somme. Vous serez quelqu’un, de cela je suis sûre6 ». Les premiers contacts avec le Tout-Paris littéraire commencèrent à se nouer. Mireille fut présentée à Colette, Gide, Claudel, Morand, Cocteau…
… à la garçonne
Pendant ce temps, sa complicité avec Apollinaire croissait. Au printemps 1914, le poète accepta pour Les soirées de Paris cinq nouveaux textes de Mireille. Hélas, cette publication attira peu l’attention car elle coïncidait avec l’éclatement de la Grande Guerre. Son recueil de contes et poèmes La maison dans l’œil du chat, paru en 1917 chez Georges Crès, connut un sort plus enviable. Le livre comportait une préface de Colette, « Avertissement à Bel-Gazou », qu’Hélène Berthelot avait obtenue pour Mireille. Au conte éponyme s’ajoutaient 24 textes et poèmes d’une page ou deux, écrits entre 1913 et 1916. Ils avaient pour thème l’enfance, et leurs titres en disent long sur le style délicat et naïf de leur auteure : « Le petit cheval noir », « Le petit verger », « La grande sœur », « Jouons ensemble »… Or une enfant, Mireille Havet n’en était plus une à la fin de la guerre.
Elle se laissa vite gagner par le tourbillon mondain des Années folles, faisant un usage immodéré des drogues, notamment de l’opium, auquel son amante Marcelle Garros l’avait initiée à l’été 1919. Il s’agissait à coup sûr d’une quête de plaisirs, menée de front avec un érotisme effréné, mais c’était aussi une manière d’échapper à l’angoisse d’avoir survécu à l’hécatombe. Car plusieurs de ses amis venaient de périr, de même que son guide, Apollinaire. Puis, ce serait au tour de sa mère de disparaître. À ce propos, Mireille nota dans son journal : « Maintenant, j’ai tant de deuils en moi que je n’en porte aucun. Tout me paraît si vide que je ne travaille plus, laissant la poésie comme une vieille fleur. / Cette période s’appellera ‘après la mort de ma mère’, mais peut-être toute ma vie s’appellera ainsi ? » Il y a loin entre l’adolescente rêveuse de naguère et la jeune adulte des années 1920. Cette dernière porte les cheveux rasés à la nuque, à la « garçonne », et déambule nonchalamment, affublée d’une canne de jonc, d’une bague pierre de lune et d’une cravate mauve. « La vie est un mensonge, note-t-elle le 8 février 1923, la vie est une mascarade. Je voudrais pouvoir appeler tous mes livres ‘Carnaval’. Ce nom seul convient aux récits de la vie. »
Le roman d’une vraie jeune fille
Carnaval forme d’ailleurs le titre de l’unique roman qui nous est resté de Mireille Havet. Achevés ou projetés, ses autres romans (dont l’un s’intitulait Jeunesse perdue) ont malheureusement été égarés. Dans Carnaval, un roman, à l’en croire, « fait en 15 jours » et « dont le titre est toute [s]a vie », Havet mêle « [p]udeur, impudeur et amour […] afin d’atteindre la poésie », écrit-elle dans son journal. L’exergue du roman est emprunté à Lautréamont : « Tu dois être puissant ; car tu as une figure plus qu’humaine, triste comme l’univers, belle comme le suicide ». Carnaval vibre au rythme des Années folles, montrant ses deux protagonistes, Daniel et Germaine, enlacés, rêvant de Venise tout en traversant les Champs-Élysées ou flânant dans un Paris nocturne où les automobiles soulèvent à leur passage un nuage de poussière rose et où les hommes portent le monocle. Havet y transpose le récit de ses amours orageuses avec Madeleine, la belle et capricieuse épouse du comte Jean de Limur.
Dans Carnaval, Madeleine est renommée « Germaine », Mireille « Daniel » et le mari trompé « Jérôme ». L’intrigue relate les espoirs et les déceptions que traverse Daniel dans son amour pour Germaine, donnant lieu à ce qu’Emmanuelle Retaillaud-Bajac appelle un « marivaudage mélancolique7 ». « L’amour, à vingt ans, écrit Havet dans Carnaval, est une gifle qui vous fait renoncer à vous-même. » Le texte de Carnaval avait été déposé au concours du Figaro à la fin de l’année 1921. Malgré les encouragements d’Henri de Régnier, de Pierre Mille ou d’Edmond Jaloux, le texte ne se démarqua pas. Il comportait peut-être trop d’audace pour une publication en feuilleton. La princesse Murat se prononça cependant en faveur du manuscrit : « C’est la Confession d’un enfant de ce siècle finissant. […] C’est jeune. C’est morbide. C’est triste. C’est beau. C’est bien8 ».
Colette fut elle aussi sensible à ses charmes : « On y fait l’amour à chaque page, et avec la plus grande intensité, et on y est détaché de beaucoup de choses : c’est un livre de vraie jeune fille9 ». Le texte parut finalement le 1er novembre 1922 dans un recueil collectif, la série « Les Œuvres libres » dirigée par Henri Duvernois, avant d’être repris en septembre 1923, chez Albin Michel, dans la collection à 3 francs 75. De nombreux auteurs lui consacrèrent un article : René Crevel, Henri de Régnier, Willy, André Chaumeix, Paul Morand… Voilà un « roman serré comme une rose10 », écrit Jacques-Napoléon Faure-Biguet ; « […] un beau livre scintillant d’amertume et de torpeur11 », observe de son côté Élie Moroy. Enthousiaste, André Gide écrit à la romancière : « Heureux de trouver dans Carnaval tout ce que je cherchais vainement dans vos vers. Vite je vous écris, pressé de vous dire ma joie – et dans la crainte aussi de (car je n’ai pas achevé ma lecture) trouver le reste moins bien. / Comme vous faites bien de supprimer les… Pourquoi auriez-vous horreur des ‘phrases’ – quand vous savez les faire si bien12 ? » Carnaval figurera sur la liste des livres sélectionnés pour le prix Goncourt, remporté cette année-là par Lucien Fabre avec Rabevel. Ce premier accueil, rassérénant pour Mireille, sera pourtant suivi d’un revers : les éditions de la Sirène refusent le manuscrit de L’arc-en-ciel, un texte pour lequel la maison d’édition lui avait pourtant versé une avance. Les événements, impressions et mille petits faits vrais qui forment la trame vécue de Carnaval proviennent du Journal, même si l’auteure en a substantiellement modifié le style.
Journal d’une vie de damnation
La grande œuvre littéraire de Mireille Havet – « la partie la plus sincère indiscutablement et rigoureusement personnelle13 » de son œuvre – demeure son Journal, en cours d’édition chez Claire Paulhan. Trois volumes ont paru entre 2003 et 2008 et un quatrième en mars 2010. Chacun porte une citation comme sous-titre. Ainsi le premier, sous-titré Le monde entier vous tire par le milieu du ventre, couvre les années 1918-1919 ; le deuxième, Aller droit à l’enfer, par le chemin même qui le fait oublier, englobe les années 1919-1924, et le troisième, C’était l’enfer et ses flammes et ses entrailles, s’étend de 1924 à 1927. Les premiers mots de cet imposant Journal ont été rédigés un dimanche de mars 1913, tandis que la jeune adolescente devait séjourner à l’hôpital Beaujon pour une opération de l’appendice. Au départ, le journal comporte très peu d’entrées : à peine une vingtaine en 1913. Après de longs mois d’interruption, l’écriture s’intensifia avec la confusion des sentiments amoureux et l’attirance de plus en plus exclusive pour les femmes. Dès lors, l’écriture de Mireille fait penser à celle d’une petite sœur secrète de Proust. Comme l’explique Laure Murat : « Entre la fleur vénéneuse et la garçonne morphinomane, qui se promène dans ces pages en pyjama, cigarette aux lèvres, Mireille Havet creuse sa spécificité en se situant précisément au cœur du temps, non pas tant au sens de ‘son époque’ mais le Temps au sens proustien, celui qui fuit, se perd, se retrouve, et que le Journal a aussi pour fonction d’enregistrer14 ».
Au fil des ans, Mireille Havet tiendra son Journal avec une application, une passion et une qualité de la prose phénoménales compte tenu de l’existence frivole, puis misérable qui sera la sienne jusqu’à l’automne 1929, date à laquelle s’interrompt le dix-septième et dernier cahier. Sa vie tumultueuse – flirts et coucheries incessants, consommation continue d’opium, de cocaïne, puis de la funeste « fée grise » (la morphine) – allait petit à petit émacier ses traits et la rendre à moitié folle. Elle lui fournit de surcroît le physique rêvé pour interpréter le rôle de la Mort dans la pièce de Cocteau, Orphée, lors de sa création au Théâtre des Arts, en juin 1926, dans une mise en scène de Georges Pitoëff. Le « glamour ténébreux » de Mireille fit mouche. Ainsi Marc Allégret écrivit à Gide : « La mort jouée par Mireille Havet, c’est une chose confondante. Son corps sec et pointu d’opiomane à peine caché par une robe du soir de chez Chanel15 ».
À n’en pas douter, la mort lui allait bien, trop bien même. La grave détérioration de sa santé physique et mentale la força à séjourner dans un sanatorium de Montana, en Suisse, où elle mourut le 21 mars 1932. Quelques semaines après sa mort, le critique Jacques-Napoléon Faure-Biguet traça d’elle un touchant portrait : « Elle était merveilleusement intelligente et certains s’effrayaient de son dur esprit. Sans doute est-ce parce qu’ils ne voyaient pas, au-delà d’une ironie sans ménagement, la lumière dont elle enveloppait toutes choses et soi-même comme d’un charme […]. Tous ceux qui l’ont aimée pour son jeune et trouble génie, pour cette flamme qu’il y avait en elle et qui, alimentée des nourritures parfois les plus gâtées du monde, éclairait les objets et les êtres d’un feu de diamant, tous ceux qui l’ont connue refusent sa mort16 ». Cette écrivaine qui n’a jamais cessé de courtiser ses démons, nous pouvons, nous qui la lisons aujourd’hui, refuser sa mort à notre tour.
1. Emmanuelle Retaillaud-Bajac, Mireille Havet, L’enfant terrible, Grasset, 2008, p. 9.
2. Edmond Jaloux, Les saisons littéraires, 1942, cité par Dominique Tiry, « Introduction » dans Mireille Havet, Journal 1918-1919, p. 20.
3. Lettre de Mireille Havet à Madeleine de Limur, sans date, citée par Dominique Tiry, « Introduction » au Journal 1918-1919, p. 8.
4. Mireille Havet, 23 décembre 1925, Journal 1924-1927, p. 158.
5. Guillaume Apollinaire, cité par Emmanuelle Retaillaud-Bajac, op. cit., p. 160.
6. Madeleine Brisson, citée par Emmanuelle Retaillaud-Bajac, op. cit., p. 128.
7. Emmanuelle Retaillaud-Bajac, Mireille Havet, L’enfant terrible, p. 279.
8. Marie Murat, citée par Claire Paulhan dans l’introduction de Carnaval, p. 11.
9. Colette, citée par Claire Paulhan, op. cit., p. 11.
10. Jacques-Napoléon Faure-Biguet, Les nouvelles littéraires, 2 avril 1932.
11. Élie Moroy, cité par Emmanuelle Retaillaud-Bajac, op. cit., p. 351.
12. André Gide, lettre à Mireille Havet, sans date, citée par Béatrice Leca dans la préface du Journal 1919-1924, p. 15, note 10.
13. Mention en tête du cahier du Journal du 18 août 1918 au 21 octobre 1918, ajoutée lors d’une relecture, en juin 1929.
14. Laure Murat, préface du Journal 1924-1927, p. 12.
15. Marc Allégret, 16 juin 1926, Cahiers André Gide, Gallimard, 2005, cité par Laure Murat, op. cit., p. 13.
16. Jacques-Napoléon Faure-Biguet, cité par Emmanuelle Retaillaud-Bajac, op. cit., p. 472-473.
Mireille Havet a publié :
Chez Claire Paulhan : Journal 1918-1919, 2003 ; Carnaval (1922), roman autobiographique, 2005 ; Journal 1919-1924, 2005 ; Journal 1924-1927, 2008 ; Journal 1927-1928, 2010.
Étude : Emmanuelle Retaillaud-Bajac, Mireille Havet, L’enfant terrible, Grasset, 2008.
EXTRAITS
J’aime la vie. Elle me monte à la tête, elle m’envahit. Elle surpasse ses promesses comme une maîtresse follement amoureuse et qui ne craint plus de trop prouver son amour. J’aime la vie et elle m’aime. Je sens sur mes joues ses longues caresses, et dans mon regard, le regard d’ami de sa lumière merveilleuse. […]
Je n’attends rien de meilleur et je sais que rien de meilleur ne me viendra. Ce moment-là est unique où, solide et sûre de moi sur mes deux jambes souples, âgée de vingt-trois ans et libre comme un vagabond, j’ai la chance inouïe d’avoir faim pour tous les plats du monde, et d’agrandir au contraire mon appétit à mesure qu’âprement, je dévore l’univers. Je vais au marché tous les jours et j’en rapporte des monceaux de provisions nouvelles. J’achète à crédit sur l’œuvre future, j’achète, j’achète.
10 mai 1922, Journal 1919-1924, p. 280.
J’aime la nuit qui porte en ses branches la mort.
J’aime la nuit avec son astre chauve et glacé, la lune.
J’aime la nuit qui couvre les visages comme un loup, la grande trêve grâce à laquelle s’accomplissent les crimes, les amours défendues, les beaux livres. J’aime la nuit, son grand velours lamé d’argent. Les rivières y coulent en réfléchissant les étoiles, et les rossignols chantent. Les lumières brillent dans la tourelle des demeures comme des lanternes jaunes. On s’avance vers l’auberge et c’est en pleine forêt une étoile entre les branches. Je veux vivre.
22 mai 1922, Journal 1919-1924, p. 293.
Le [vendredi] 7 avril [1922] Cette douleur qu’est la virginité. Cette négation de la volupté qu’est l’homme. Cette intervention chirurgicale semblable à celle du bistouri dans les chairs vives et qui ébranle jusqu’à l’orgueil de l’âme et à sa paix profonde. Cette infamie de l’acte régulier sexuel, sans autre but, sans autre excuse que la repopulation. Cette pulsation grotesque de l’homme aplati sur la fragilité de la femme et l’écrasant de son sexe, de sa fertilisation, de sa rudesse.
Je n’imaginais point la chose si horrible, si absurde, si mortuaire. Elle dépassa mes espérances et mes prévisions les plus basses. Au dernier moment, le désir d’être normale, de savoir ce qu’était l’amour pour toutes les femmes, une curiosité soudain primitive de l’adversaire me fit abandonner mes dernières craintes. J’y allai comme au suicide, comme à l’amputation nécessaire, avec beaucoup de courage et aucune feinte. J’étais prête à ce sacrifice que, depuis trop d’années, j’ajournais. Il fallait en finir. Rompre enfin avec ce rôle absurde d’éternelle jeune fille. J’ai fait consciemment et en pleine liberté ce que j’ai voulu.
Journal 1919-1924, p. 250.