La vie d’Anna de Noailles ressemble à un conte de fées qui commencerait par « il était une fois… »
C’est effectivement une princesse, d’ascendance roumaine par son père et turque par sa mère, qui vit le jour à Paris le 15 novembre 1876. Anna grandit dans un environnement très aisé où la culture et le savoir constituaient des repères et des valeurs fondamentales.
De ce fait, autour de cette famille gravitait une prestigieuse coterie cosmopolite. Écrivains et artistes (Marcel Proust, Frédéric Mistral, Ignace Paderewski, Edmond de Polignac – ami de Georges Bizet –, Eugène-Melchior de Vogüé, Anatole France, etc.) se pressaient aux fastueuses soirées données par Rachel de Brancovan, elle-même pianiste talentueuse. D’après Claude Mignot-Ogliastri1, la jeune Anna a même eu sa première leçon de prosodie avec Sully Prudhomme, Prix Nobel de littérature en 1901 !
Il y eut aussi un autre élément fondamental : la découverte de la nature à Amphion-les-Bains, au bord du lac Léman, où les parents d’Anna avaient acquis une vaste demeure entourée d’un jardin immense et merveilleux. Dès lors, Amphion a toujours symbolisé l’éden terrestre : « Oui, ce fut là le paradis2 ». Par conséquent, la nature devint l’un des thèmes de prédilection de la poétesse.
Dans ce contexte fécond, la sensibilité et les dons poétiques de la fillette furent vite révélés et encouragés.
La gloire : Anna de Noailles, un poète et une personnalité incontournable
Anna de Noailles n’a qu’une vingtaine d’années lorsque ses poèmes sortent dans la presse. Puis, en 1901, paraît le premier recueil, Le cœur innombrable. C’est un véritable triomphe, comme en témoigne François Mauriac : « Cette jeune femme illustre prêta sa voix à toute une jeunesse tourmentée. Sa poésie fut le cri de notre adolescence3 ». Ainsi la comtesse de Noailles devient-elle rapidement un personnage public recherché, l’idole de toute une génération. Rapidement, on lui demande des articles de presse, des entretiens, des conférences et de nombreux jeunes auteurs la sollicitent, comme, par exemple, Jean Cocteau. Elle est alors leur mentor mais aussi l’égérie d’hommes influents : elle rejoint les socialistes Jean Jaurès et Léon Blum avant de se proclamer républicaine aux côtés de Georges Clémenceau. Noailles est également parmi les dreyfusards de la première heure, allant à l’encontre des prises de position plutôt nationalistes de son milieu.
Dans ce Paris de la Belle Époque en pleine effervescence, la poétesse, toujours très active et consciente des changements de son temps, s’associe aux revendications des femmes qui réclament leur émancipation politique et sociale. En 1904, Anna de Noailles crée avec d’autres femmes le prix de La Vie heureuse (aujourd’hui prix Femina), alternative au Goncourt considéré comme très misogyne. Elle est, avec Colette, Lucie Delarue-Mardrus, Renée Vivien, Rachilde et d’autres, parmi ces femmes qui bouleversent la scène littéraire française. Choquantes et provocatrices, tant par leurs écrits sulfureux que par leur comportement outrancier, ces auteures déclenchent l’incompréhension et le rejet d’une partie de la société. Mais le mouvement a commencé et, quelques années plus tard, Anna de Noailles sera la première femme commandeur de la Légion d’honneur.
Une œuvre plurielle
L’œuvre d’Anna de Noailles s’avère plus vaste que ce que l’on en a retenu aujourd’hui. Précoce et prolixe à la fois, elle commence à composer très jeune, vers huit ou neuf ans4 et ne s’arrêtera qu’à sa mort en 1933. Au total, on dénombre neuf recueils en vers et quatre en prose, trois romans, une multitude d’articles de presse, de préfaces, de critiques et une vaste correspondance.
Les premiers recueils poétiques rayonnent d’une ferveur ardente, d’une exhortation à jouir de la vie et des beautés de l’univers : « – Ah ! sentir sur son cœur s’ébattre la nature ! / Boire le miel léger des calices profonds / Comme l’abeille d’or et les insectes font, / Prendre pour vêtement, quand la chaleur arrive, / L’ombre qui se balance au gré des feuilles vives, / Baiser l’air, goûter l’eau glissante, avoir le cœur / Simple et chaud comme un fruit qui donne son odeur5 ». Mais, en dépit de cette ivresse et des chaudes images de pays exotiques, le sentiment de la souffrance affleure très vite. La solitude et l’angoisse apparaissent : « Toujours les cris, les pleurs, le mal universel, / la douleur obstinée, / Le vivre et le mourir plus amers que le sel6 ». Cette tendance s’accentue à chaque nouveau volume et l’auteure est tiraillée entre deux forces antinomiques : l’instinct de vie et le désir de mort. Après L’ombre des jours, Anna de Noailles cesse d’éditer ses poèmes – aucun recueil ne sort entre 1908 et 1912 – et, même si elle écrit toujours de la poésie, elle se consacre largement à la prose.
En 1903, paraît d’abord en épisodes La nouvelle espérance, un premier roman. Puis, les titres s’enchaînent : Le visage émerveillé, l’année suivante et le troisième et dernier roman, La domination en 1905. Durant cette période d’activité intense, ponctuée par de fréquents voyages, Anna de Noailles entame une longue collaboration avec les journaux de l’époque et devient, en quelque sorte, journaliste. Au final, elle a rédigé une cinquantaine d’articles sur les grands événements de son temps, comme les Ballets russes et la Première Guerre mondiale, ainsi que douze chroniques drolatiques, en 1926, pour le magazine Vogue. En fait, Noailles mène toujours de front différents projets parmi lesquels un nouveau roman, Octave, resté inachevé. Mais cette matière n’est pas perdue, le manuscrit sera disloqué pour être réutilisé. De même, sur les conseils de Maurice Barrès, Anna de Noailles s’essaye à un autre genre : le court texte en prose. Un premier recueil, De la rive d’Europe à la rive d’Asie, date de 1913 et relate ses souvenirs d’enfance. D’autres, d’une veine moins autobiographique, suivront, et en particulier Les innocentes ou la sagesse des femmes, sorte d’art d’aimer issu d’Octave.
Trois romans
En septembre 1900, Anna de Noailles donne le jour à un fils, Anne-Jules. Mais la jeune mère, fragile et sensible, est ébranlée : l’accouchement l’a durablement traumatisée. Elle est contrainte de faire une cure d’isolement pendant laquelle tout effort et tout travail d’écriture lui sont interdits. Peu après, elle constate que son émotivité extrême ne lui permet plus de composer en vers, comme elle l’écrit à son amie Augustine Bulteau : « Moi aussi chère amie je travaille mais pas en vers pour le moment. Le grand tapage de mon cœur ne se plierait pas aisément à la courbure du rythme précis et minutieux. J’ai bien envie de vous faire parvenir un de ces jours quelques feuilles7 ». Voilà comment elle en vient à l’écriture romanesque. Pourtant, son travail n’est pas linéaire et de nombreuses ébauches – en prose ou en vers – se mélangent au gré de son vécu. De ce fait, les thèmes et les motifs restent quasiment les mêmes d’un livre ou d’un genre à l’autre, raison pour laquelle les trois romans d’Anna de Noailles constituent un ensemble cohérent, une sorte de « trilogie sentimentale ».
Chacun d’eux raconte une histoire d’amour ratée qui illustre un type d’échec amoureux. L’héroïne de La nouvelle espérance, Sabine de Fontenay, coule une vie paisible avec son mari et quelques amis. Pourtant, depuis le décès de son unique enfant, la jeune femme a changé : cette épreuve l’a anéantie, elle n’a plus goût à rien et s’enfonce dans un ennui lugubre. Dès lors, elle s’invente des histoires sentimentales, toutes très décevantes, jusqu’au jour où elle rencontre Philippe Forbier, son futur amant. Mais après quelques mois de bonheur, celui-ci retourne auprès de sa femme malade. Le roman se termine sur le probable suicide de l’héroïne, abandonnée de tous. La nouvelle espérance exemplifie l’amour déçu qui conduit au dégoût et à la mort.
Le visage émerveillé est le journal fictif d’une jeune religieuse tombée amoureuse d’un peintre. Sûre d’elle et sereine au début, sœur Sophie voit progressivement s’installer dans son esprit le doute : a-t-elle encore la foi ? Va-t-elle partir avec son ami ? Mais alors comment vivre hors du couvent, ce lieu calme et « doux » ? Pourtant est-ce encore possible d’y rester sans lui ? En définitive, elle refuse de le suivre, préférant conserver la paix intérieure, plus précieuse et plus pérenne. Dans ce cas, l’échec amoureux résulte d’un choix raisonné, fruit de la connaissance de soi révélée par l’amour. Cette résignation ne conduit pas l’héroïne à la mort mais à un retour à l’ordre initial.
Le dernier opus, La domination, propose un point de vue inversé : Antoine Arnault, l’unique héros masculin chez Noailles, est un jeune écrivain célèbre qui cumule les histoires amoureuses sans lendemain. Orgueilleux et mégalomaniaque, il parcourt l’Europe au bras de ses conquêtes. Mais en tombant amoureux de la comtesse Albi, il est pris à son propre jeu. Leur passion amoureuse se déroule à Venise – ce qui donne lieu à de superbes descriptions de la ville – et se termine par une violente rupture qui change définitivement la psychologie du héros. Complètement désillusionné, il consent à se marier. Quelque temps après, il s’éprend de sa belle-sœur, une jeune femme passionnée et étrange. Malgré les conventions et de vaines tentatives pour repousser cet amour, Antoine a reconnu celle qu’il cherchait. Mais cette rencontre arrive trop tard et, impossible à réaliser, elle engendre la mort des deux personnages. L’amour ici représente un anéantissement total.
Trois romans d’amour : trois histoires tragiques
Anna de Noailles a bien expliqué les raisons de ces échecs amoureux : les héros, aux idées préconçues, idéalisent la passion amoureuse en cherchant la fusion totale, l’adéquation parfaite. Cette recherche de l’absolu est à la fois exaltante et pathétique, telle une fuite et une lutte sans espoir. Par conséquent, ces trois romans recèlent une dimension tragique intense et quasiment mythologique car les personnages noailliens sont marqués par un destin sombre et inflexible comme leurs modèles : Emma Bovary, Faust, Don Juan, Julien Sorel, Iseult, Juliette… Autre source de drame : leur propension à imiter le désir de l’autre, perçu comme plus parfait. Mais pire, ils sont affublés de défauts rédhibitoires tels que la vanité, l’égoïsme et une incapacité flagrante à considérer leurs problèmes affectifs. En définitive, ces personnages semblent atteints d’une pathologie de la conscience et de la volonté. Ainsi n’est-ce pas tant à leur réalisme que Noailles s’attache qu’à l’exploitation de figures dans une visée didactique et philosophique : la romancière met en place un dispositif efficace, propre à mettre en relief la spirale infernale. Les dialogues concis et la longueur des monologues, par exemple, participent de ce mécanisme de précision, appuyant la démonstration de la romancière. En effet, ils attirent l’attention sur les problèmes relationnels et communicationnels qui préfigurent les rapports entre les personnages. Dès lors, il se crée autour d’eux un vide terrifiant. En définitive, tous sont marqués par la solitude, premier pas vers la mort. Pourtant, dans ces univers sombres, il existe quelques moments de répit et de beauté, de longues pauses réflexives ainsi que des descriptions de la nature rédigées dans un style rare et recherché. En effet, la richesse et la créativité de la langue noaillienne, fondée sur les figures de rhétorique, le rythme, les répétitions sonores et le traitement des couleurs, confèrent aux romans une grâce poétique intense et unique. Ces récits oscillent donc entre roman d’amour psychologique et roman poétique8. Mais la maîtrise dont fait preuve Anna de Noailles est à double tranchant car une simple lecture ne suffit pas à cerner non seulement les enjeux et la portée de ces récits, mais encore leur valeur symbolique et philosophique. Cette dimension poétique et didactique ne facilite pas leur compréhension ; ils furent même jugés abscons ou sans intérêt. De plus, certains défauts – la présence saturante des figures, les audaces stylistiques, les dénouements peu motivés et pessimistes – ont cristallisé les critiques jugeant ces romans comme mineurs. Cependant, c’est précisément grâce à la minutie et à la justesse des analyses, la puissance suggestive des émotions et des sensations, retranscrites dans des images inédites, qu’Anna de Noailles aboutit à l’esquisse d’une philosophie de l’amour. Finalement, avec le recul, on constate que les trois romans de cette auteure gagnent en logique et en cohérence une fois étudiés dans leur ensemble : ils représentent une seule et même volonté de figurer le sentiment amoureux, perçu comme une gageure et une méprise mortelles.
Le cas particulier du Visage émerveillé
Après la publication de La nouvelle espérance, Anna de Noailles souhaite achever rapidement son deuxième récit mais les fêtes de fin d’année 1903 la rappellent à Champlâtreux dans sa belle-famille. De retour à Paris, elle tombe malade et reste alitée une huitaine de jours. Dans le calme retrouvé, elle commence à écrire. Composé avec fluidité – « J’ai fait cela depuis que je suis au milieu de mes mouchoirs » –, Le visage émerveillé révèle une atmosphère et une tonalité particulières : une certaine sérénité s’en dégage et le destin des personnages ne sera pas marqué par la mort. Pourtant, Noailles s’inquiète du résultat : « Écrit à tour de bras et pressé de rhume, cela résistera-t-il à une lecture attentive après la première sortie en voiture. Je ne sais9 ». Ce court roman plein de poésie rompt avec le style plus recherché des autres ouvrages.
Le visage émerveillé paraît en juin 1904 et fait scandale : les affres passionnées de la religieuse choquent la société bien-pensante. Pourtant, la critique littéraire salue la qualité du style. Henri Ghéon affirme : « Il faut le proclamer, Mme de Noailles écrit ses plus beaux poèmes en prose10 ». Pareil à un « chant », Le visage émerveillé ressemble pour Maurice Barrès à « une musique », « un concert au jardin11 ». Marcel Proust, lui, vante la poésie « perpétuelle, intégrante » du roman, s’adressant à son amie en ces termes élogieux : « Cette vérité géniale de la couleur fait de vous le plus grand des impressionnistes12 ».
Le visage émerveillé reste un ouvrage à part dans l’œuvre d’Anna de Noailles. Différent, ce roman l’est, tout d’abord, par sa conception rapide et improvisée, ensuite, parce que ce récit atypique tient à la fois de la propédeutique amoureuse, de la fable et du conte. En effet, certains points du petit roman rappellent le conte des frères Grimm « Raiponce », comme l’omniprésence de la nature avec le magnifique jardin de la sorcière – personnage assimilable à la mère supérieure, autoritaire et puissante –, la tour dans laquelle se trouve enfermée la fillette figure le couvent ou encore la scène des cheveux qui entraîne la transgression et le malheur. La fin diffère puisque le conte se termine par un mariage. Cependant, le retour à l’état initial dans le roman noaillien peut s’interpréter comme la réaffirmation des vœux religieux de sœur Sophie. Enfin, entre poésie et fiction, Le visage émerveillé est investi de nombreuses références symboliques proches de celles des écrits allégoriques du Moyen Âge et du XVIe siècle que Noailles appréciait particulièrement.
L’amour, « la plus affreuse maladie13 »
La poésie comme les romans d’Anna de Noailles suscitent de nombreuses interrogations sur l’amour, c’est-à-dire sur soi-même et sur l’autre – entité « mouvante et multiple à force d’aspects, de regards et de désirs » –, ou encore sur le temps et le sens de l’existence. Indéniablement, cette expérience bouleverse le rapport au monde. Au cœur de ce questionnement surgit le Désir, synonyme chez Noailles de volonté, de conscience, d’instinct. Principe de vie, puissance capable de repousser la mort, le Désir est ici exalté afin de nous exhorter à « mourir rassasié14 » car « [c]ombien s’en sont allés de tous les cœurs vivants / Au séjour solitaire / Sans avoir bu le miel ni respiré le vent / Des matins de la terre, / Combien s’en sont allés qui ce soir sont pareils / Aux racines des ronces, / Et qui n’ont pas goûté la vie où le soleil / Se déploie et s’enfonce15 ».
Docteur ès lettres, Marie-Lise Allard a soutenu en novembre 2010, à l’Université de Franche-Comté, une thèse intitulée « Anna de Noailles entre prose et poésie ».
1. Anna de Noailles, une amie de la princesse Edmond de Polignac, Méridiens-Klincksieck, 1986, p. 63.
2. Le livre de ma vie, Bartillat, 2008, p. 92.
3. Les Nouvelles littéraires artistiques et scientifiques, le 6 mai 1933.
4. « Et puis, vers seize ans, ce fut plus sérieux. Je composai des poèmes qui figurèrent plus tard dans mon premier volume. » « Une heure chez Mme de Noailles », entretien avec André Arnyvelde, Les Annales politiques et littéraires, 13 avril 1913.
5. « L’amoureux été », Le cœur innombrable, Calmann-Lévy, 1901.
6. « Le dialogue marin », L’ombre des jours, Calmann-Lévy, 1902.
7. Lettre n°47, novembre 1900, BnF, Na fr. 17513.
8. Le récit poétique est une tendance apparue avant la Première Guerre mondiale dont Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier reste le titre le plus emblématique.
9. Lettre à Augustine Bulteau, début 1904, BnF, Na. fr, 17513.
10. L’Ermitage, octobre 1904, p. 153-154.
11. « Un grand poète : la comtesse Mathieu de Noailles », Le Figaro, 9 juillet 1904.
12. Correspondance générale de Marcel Proust avec Anna de Noailles.
13. La nouvelle espérance, Calmann-Lévy, 1903, p. 110 et 118.
14. « Parmi les lettres qu’on n’envoie pas », Les innocentes, p. 74.
15. « Le temps de vivre », Le cœur innombrable, Calmann-Lévy, 1901.
Anna de Noailles a publié :
Le cœur innombrable, Calmann-Lévy, 1901, Helleu, 1918, Librairie des Champs-Elysées, 1931 et Grasset, 1957 ; L’ombre des jours, Calmann-Lévy, 1902 et Société du Livre d’Art, 1938 ; La nouvelle espérance, Calmann-Lévy, 1903 ; Le visage émerveillé, Calmann-Lévy, 1904 ; La domination, Calmann-Lévy, 1905 ; Les éblouissements, Calmann-Lévy, 1907 ; Les vivants et les morts, Fayard, 1913 ; De la rive d’Europe à la rive d’Asie, Dorbon Aîné, 1913 ; Les forces éternelles, Fayard, 1920 ; Discours à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, La Renaissance du Livre, 1922 ; Les innocentes ou la sagesse des hommes, Fayard, 1913, Crès, 1926 et Buchet-Chastel, 2010 ; Poème de l’amour, Fayard, 1924 ; Passions et vanités, Crès, 1926 ; L’honneur de souffrir, Grasset, 1927 ; Poèmes d’enfance, Grasset, 1928 ; Exactitudes, Grasset, 1930 ; Le livre de ma vie, Hachette, 1932, Mercure de France, 1976 et Bartillat, 2008 ; Derniers vers, Grasset, 1933 ; Derniers vers et Poèmes d’enfance, Grasset, 1934 ; Douze poèmes, Calmann-Lévy, 1946.
EXTRAITS
Elle aimait cette attente qui lui donnait l’impression qu’elle ne pourrait pas la supporter longtemps, et que tout à l’heure, ouvrant la porte, son ami la trouverait abattue contre la table, vraiment morte d’impatience. Et la porte s’ouvrait. Philippe paraissait. Madame de Fontenay le regardait de loin, les yeux clignés, comme on regarde, au réveil, l’entrée du jour dans la chambre…
La nouvelle espérance, p. 218.
27 octobre
On ne pense pas à l’avenir, il arrive. On ne comprend plus rien, et c’est comme si tout l’univers avait été différent de ce qu’il est maintenant.
D’abord on se retient pour ne pas devenir fou et puis vient la fatigue, on a une tête et une âme qui s’assoupissent, qui acceptent le malheur doucement.
Le visage émerveillé.
À peine au centre de ma vie, j’en vois déjà le néant, et j’en prévois le déclin. […] L’univers est pour moi différent de ce qu’il apparaît aux autres hommes : les plus hautes montagnes me sont des collines que mon esprit franchit aisément ; les villes des villages, et l’espace un étroit jardin. Par moments, ayant dépassé toutes les formes et tous les contours, je contemple le royaume immense et blanc de la folie… […] Je le sens, chaque jour je m’enfonce davantage dans ce désert royal où les autres ne me sont plus rien. Et que puis-je sur moi-même ? En vain essaierai-je d’arrêter en moi un mouvement qui me nuit, me détruit en même temps qu’il augmente.
La domination, p. 194-195.