Dyane Léger a fait une entrée remarquée dans les lettres acadiennes en novembre 1980 avec Graines de fées : il s’agissait de la première femme à faire paraître un recueil de poésie en Acadie, mais aussi du premier livre publié par les éditions Perce-Neige.
Cette suite en prose, cinglante et provocatrice, teintée de surréalisme et pimentée de mots-valises, un peu confuse, quelquefois opaque, entremêlée de pointes humoristiques, a amené un nouveau regard sur l’Acadie en même temps qu’une autre façon d’écrire. La naïveté s’y fond à la richesse de la pensée, formant un ensemble bigarré et vivant.
L’humour sous-jacent du texte n’avait pas échappé à Caroline Bayard dans la très sérieuse revue University of Toronto Quarterly (été 1982) : « Du côté de l’Acadie, il y a une voix dont les inflexions s’imposent très vite. Surtout parce qu’il s’agit d’un premier livre, on ne voudrait pas oublier le nom de l’imaginatrice drolatique qui choisit de proser en poème, de surréaliser sans vergogne et de décrocher pied de nez et pirouette avec humour, vertu rare dans cette profession-là ».
La dimension ludique de ses poèmes n’est pas sans évoquer ses tableaux. Après tout, elle est bachelière en arts visuels et a exposé très régulièrement ses toiles. Par contre, l’angoisse qui habite ses textes ne transparaît pas dans les tableaux. Habitées par la couleur, animées par une approche naïve qui les rapproche de l’enfance, caractérisées par un dessin figuratif sans être réaliste et des arrière-plans qui peuvent être baroques, ces toiles créent une atmosphère féerique. Parfois, on sent l’influence de Chagall.
Sorcière de vent (D’Acadie, 1983) tient moins à la poésie qu’à la prose, plus à la poésie qu’au récit. Joyeusement débridés, les cinq textes qui composent le recueil expriment l’urgence d’être de l’auteure. Plus facile d’accès que Graines de fées, plus près des sentiments aussi, Sorcière de vent se présente sans censure, sans entrave, il se rapproche du journal intime dans sa
tentative de donner sens à un monde qui bouscule l’auteure. Les textes communiquent entre eux autant par le thème que par l’appel direct, comme cette phrase qui clôt « Intrigue onirique » : « Comme il ne restait rien, rien après le feu et que le sablier avait vidé son temps et que le réveil matin sonnait, d’un soubresaut, le calendrier renversa hier et moi, moi qui redevenais aujourd’hui le commencement de mon deuxième chapitre », dont le titre, « Les ivrognes interdits », est aussi évocateur que son contenu.
En marge de sa poésie, le doux et songeur Visages de femmes (D’Acadie, 1987) réunit trois textes sur les trois âges de la femme et trois suites de portraits de la photographe Corinne Gallant qui leur correspondent. Une certaine douceur vient tamiser l’angoisse et cette crainte de la mort ou de la vie, je ne sais trop, qui se traduisaient dans les recueils précédents par une oppression des mots, comme si les phrases se densifiaient jusqu’à l’insoutenable. Dyane Léger se raconte, accompagnant les 25 photos sans pour autant chercher à les décrire. elle est femme, et là est le sujet dans son questionnement sur la vie et le temps,
Comme dans ses recueils précédents, Dyane Léger utilise dans Les anges du transit (Écrits des Forges/Perce-Neige, 1992) une prose poétique qui entraîne le poème vers le journal intime. Ce recueil est celui de l’ouverture, la prise en compte de ce monde qui n’est plus limité à l’étroit territoire de l’enfance, mais qui s’ouvre sur l’aventure planétaire : de Moscou à la Nouvelle-Orléans, deux univers, deux façons d’actualiser le destin, mais d’une façon de faire à soi-même dans ses douleurs et ses déchirements. L’auteure alterne les temps de tension et de détente dans une lente réflexion sur la vie et, par la mise en abyme de sa relation avec son père, exorcise ses démons intérieurs.
Après, c’est le silence. Elle continue à lire dans des événements, mais ne publie rien jusqu’à L’incendiaire (Du Marais) en 2008, un récit poétique épistolaire entre elle et Paul Savoie, un Franco-Manitibain qui vit en Ontario, Dans ses lettres, Dyane Léger cherche à résoudre la crise intérieure qui l,a conduit au silence :
« Mon écriture et moi sommes devenues pareilles à ces vieux couples qui sortent de moins en moins souvent, et qui finissent par prendre leurs vacances seuls ». Par son texte, elle apprivoise à nouveau l’écriture en remontant le fil du temps, ce temps de sa jeunesse, le temps de ce qu’elle appelle la beauté. Il lui faut apprendre à écrire à partir de l’âge qu’elle a et non en faisant appel à son passé ; c’est ce conflit qui anime son texte et lui donne force et pertinence. Il semblerait que la poète prépare un nouveau recueil…
Biographie
Née le 11 septembre 1954 à Notre-Dame-de-Kent, Dyane Léger étudie en arts visuels à l’Université de Moncton (1970-1973) puis quitte l’université pour y revenir en 1980 et obtenir un baccalauréat ès arts en 1982. Par la suite, elle suivra une formation en joaillerie au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick à Dieppe (1991-1992). Elle travaille dans le domaine culturel et dans une pépinière.
Dyane Léger a publié :
Graines de fées, Prix France-Acadie, Perce-Neige, 1980 ; Sorcière de vent, D’Acadie, 1983 ; Visages de femmes, en collaboration avec la photographe Corinne Gallant, D’Acadie, 1987 ; Les anges en transit, Perce-Neige/Écrits des Forges, 1992 ; Comme un boxeur dans une cathédrale, Perce-Neige, 1996 ; Le dragon de la dernière heure, Perce-Neige, 1999 ; L’incendiaire, en collaboration avec Paul Savoie, Du Marais, 2008.
EXTRAITS
Sur la pointe des pieds…
(Je sais : le soleil jaunit le papier et, laissées au soleil, les photographies s’effacent. Je sais ce mal d’aimer, de vivre. Ce tourment qu’est l’écriture lorsqu’on est moitié femme, moitié poète et que le remords est une torture telle qu’un jour, pour me venger contre mon destin, j’ai commencé à vivre ma vie en me disant que, de toute façon, elle était trop vieille pour produire une œuvre valable et que, peut-être, dans la prochaine, si je réussissais à contourner le quotidien, à dompter le sablier, à couler du ciment dans le vide qui m’a été laissé par ma mère…)
Les anges en transit, p. 41.
Balafre
Je n’ai pas choisi d’être une femme. Je n’ai pas choisi de vivre à côté des hommes. Dans l’ombre. Je n’ai pas choisi d’être la gardienne de vos enfants. De vos rêves. De vos chiens. De vos maisons. Je n’ai pas choisi de mâcher les mots. De murer ce que je dois toute ma vie exprimer. Mon rêve le plus fou – le plus wild – n’était pas de domestiquer le quotidien. (Il est plus fort que moi ce besoin d’aller jusqu’au bout.)
Comme un boxeur dans une cathédrale, p. 140.