Yolande Villemaire en a marre qu’on la prenne pour folle. Elle n’avoue plus à tout venant sa foi en la réincarnation. Yolande Villemaire en a marre de n’être lue que par une poignée d’intellectuels. Elle a décidé de se mettre à l’écriture figurative. Vava est sorti en juin 1989 ; un V pour Violente, un V pour Villemaire.
Remplie de préjugés comme je le suis, je l’imaginais portant un cristal de quartz autour du cou, comme on imagine tous les férus d’ésotérisme. Elle arrive avec son attachée de presse, très élégante, petite jupe noire et cheveux tirés (le cristal est peut-être caché sous le chemisier), une autre tête que celle des photos. Elle est sur ses gardes, derrière ses dehors avenants. Pour un peu on dirait qu’elle se surveille, je sens chez elle comme une volonté de faire les choses bien comme il faut, de ne pas en dire trop. Ça commence d’ailleurs par des commentaires sur Québec, une si jolie ville Tournée de promotion en province, extérieur jour, scène I, prise I.
« Vava est la réalisation d’un projet d’assez longue date qui était déjà encodé dans La vie en prose, dont le premier et le dernier mot était – Vava – », répond l’auteure à ma première question. Le petit dernier renoue en effet de diverses manières avec La vie en prose, tout en intégrant les recherches qui ont donné naissance aux œuvres qui séparent les deux romans. On reste étonné devant cette brique de quelque sept cents pages d’une écriture linéaire qui n’est pas celle qu’on connaissait de la Yolande Villemaire représentante d’une certaine avant-garde littéraire. Les récits de menus événements se succèdent comme dans un journal intime ; le ton est légèrement distancié, comme si c’était un film qu’on racontait, le film d’une vie qui se déroulerait image par image. Elle élabore : « J’ai essayé de donner au roman le mouvement même de la vie. Et c’est pour ça qu’on y trouve des événements insignifiants et d’autres très graves ou très drôles. J’ai voulu raconter l’histoire d’une femme de cette génération qui avait 20 ans en 1968, comme la moitié du monde à cette époque. Le portrait de cet être humain de sexe féminin et de nationalité québécoise constitue une espèce de portrait-robot de sa génération. La narratrice regarde son personnage se promener dans le XX esiècle avec une distance ironique, un peu comme la sorcière enterrée de Castaneda regarde défiler devant elle les images de vies prototypiques, car – la récapitulation de la vie donne accès au pouvoir personnel – [Castaneda, The Eagle’s Clift, cité dans Vava]. J’ai utilisé des éléments autobiographiques pour écrire un texte qui n’est pas une autobiographie au sens où on l’entend habituellement. Dans les moments de grâce de l’écriture, j’avais parfois l’impression d’être un écrivain du futur racontant une vie passée. » Ces moments de grâce sont réels ; pour Yolande Villemaire, la notion d’inspiration est très vivante et consiste à oublier le plus possible son identité pour éviter de censurer ce qui monte.
La seule façon de sortir d’une obsession, c’est de la vivre
Vava est aussi et surtout le roman d’une passion, ou plus exactement d’une obsession. « C’est l’obsession amoureuse de Vava pour un homme avec lequel elle n’arrive pas à communiquer. Une obsession dont on ne sort pas nous tue. Et la seule façon de sortir d’une obsession, c’est de la vivre. L’obsession de Vava échappe à l’absurdité totale en débouchant sur l’amour comme essence de la vie humaine. C’est en ce sens que le roman est un roman initiatique, qui parle du cœur, de l’âme. C’est un roman sur le mystère. C’est pour ça qu’il y a des pyramides sur la couverture et c’est aussi pour ça que je raconte des événements très ordinaires, car le mystère se tient dans la réalité de nos jours, dans les rencontres qu’on fait au quotidien, dans son propre destin finalement. »
Transmuter l’émotion en essence
Le parcours initiatique de Vava ressemble à celui de la romancière, pour qui la transmutation de l’âme est la grande affaire de la vie. En dépit de l’importance du souvenir, de la mémoire (et des mémoires) dans son œuvre, elle avoue que l’écriture est moins pour elle un moyen de laisser des traces que de se transformer elle-même. « L’écriture, comme toute forme d’art, est une façon de transmuter l’émotion en essence. L’œuvre en elle-même est peu de chose, ce qui compte c’est ce que j’y mets de moi. » La lecture qui est faite de son œuvre fait également partie de ce processus de transformation. En ce qui concerne la question de la réception, Yolande Villemaire va plus loin que la simple affirmation que le lecteur est coauteur d’une œuvre qu’il enrichit de sa propre expérience en la lisant. Pour elle, le fait d’être lue contribue à cette transformation de son être amorcée avec l’écriture et elle avoue se sentir dans un état d’extrême réceptivité au moment où l’un de ses livres est mis en circulation, comme si elle percevait physiquement la rétroaction de son geste créatif.
La question de l’éternel retour
C’est aussi dans la mesure où elle écrit pour comprendre la réalité de l’humaine condition que son écriture porte les traces de sa démarche spirituelle, dont la recherche sur la palingénésie est l’aspect le plus connu. La mémoire des vies antérieures constitue pour l’auteure un réservoir important d’images génératrices de fiction. Lorsque j’évoque la question, Yolande Villemaire élude. J’insiste un peu, beaucoup, tant ses propos sur l’art et la vie me semblent se rattacher à cette recherche. Peut-être pense-t-elle que je lui tends un piège, peut-être tente-t-elle d’évaluer ma propre attitude à cet égard avant de se jeter à l’eau (au désespoir de l’attachée de presse qui assiste à la rencontre ?). C’est d’ailleurs dans son bain, dit-elle, qu’elle essaie d’imaginer des réponses futées aux insidieuses questions des journalistes à ce sujet. « C’est évident que je crois aux vies antérieures, mais c’est inquiétant à dire, aujourd’hui, en Occident. Mon intérêt pour la réincarnation occupe et occupera de plus en plus une place centrale dans mon œuvre. Je crois que mon job, mon destin, est de lever une partie du voile sur ce phénomène qui est en quelque sorte frappé d’interdit. Mais c’est un travail qui me fait peur, c’est difficile de passer pour folle quand on ne l’est pas. Je mets souvent en doute ma croyance en la réincarnation, ça me fait du bien de temps en temps ! Mais je travaille néanmoins sérieusement là-dessus, je remonte à la source des textes, j’ai décidé de me mettre à l’étude du sanscrit. La réincarnation n’est qu’un sous-thème d’une recherche plus vaste sur la dimension cosmique de l’humain. »
Vava, sans aucun doute
L’évidente sincérité de Yolande Villemaire m’amène à lui poser la question du doute et de la foi. Pour moi, l’aspect le plus agaçant de Vava réside dans la naïveté désarmante du personnage central qui, pour échapper au désespoir, est prêt à se lancer sans le moindre jugement critique dans les thérapies les plus fantaisistes (il faut dire qu’à cet égard le portrait de génération est assez réussi, les thérapeutes de tout acabit étant les gourous de notre époque). « Il est vrai que mes personnages manifestent une certaine naïveté, qui ressemble à celle de l’auteur », avoue-t-elle. « Je ne refuse pas le doute, mais la foi est fondamentale pour moi. Le mot est délicat à employer parce qu’on l’associe aux Enfants de Marie La foi dont je parle est une énergie de confiance totale en la vie. Sans cette foi on ne peut pas créer ; la créativité vient de la croyance en la possibilité de transformer la vie. »
L’angle mort du social
La difficulté de tenir compte du social dans son œuvre est une autre conséquence littéraire des valeurs de l’auteure. On a beaucoup reproché à Yolande Villemaire de banaliser l’Histoire, voire de l’ignorer. « Je comprends mal la dimension sociale, je ne la vois pas. C’est une de mes zones aveugles. Je ne dis pas que j’ai raison, je dis seulement que je perçois la vie en termes plus génériques ; je vois humain, planète. Le critique qui me reproche de ne pas envisager l’angle social des choses a parfaitement raison, mais je ne peux écrire que ce que je suis. Les problèmes d’aujourd’hui m’intéressent peu, c’est le temps dans toutes ses dimensions qui m’intéresse. Que je parle de l’Inde au XIVe siècle, de la France dans les années 40 ou de Montréal en 1980, la seule question que je me pose, au-delà du circonstanciel, est celle de la condition humaine et de son devenir. Ce qui ne veut pas dire que je n’incarnerai pas le personnage dans une réalité. Je trouve la Germaine Lauzon de Tremblay très cosmogonique. »
Une écriture de plus en plus figurative
J’évoque l’évolution de son style. « Ce que je cherche, c’est la réalité. Je veux aller au-delà de l’imagination. Mon écriture sera de plus en plus figurative, de la même façon qu’on parle de peinture figurative. Je suis beaucoup plus sensible à l’art visuel qu’à la musique d’ailleurs. Ça m’amènera peut-être au cinéma, qui est beaucoup plus figuratif que l’écriture. » L’entrevue est terminée, Yolande Villemaire se hâte vers un autre rendez-vous, vers d’autres sceptiques. Va-t-elle se faire engueuler par l’attachée de presse pour avoir tenu un discours trop ésotérique ? Qu’elle l’envoie paître !
Yolande Villemaire a publié :
Machine-t-elle, les Herbes rouges, 1974 ; Meurtres à blanc, Guérin, 1974 et « Typo », 1986 ; Que du stage blood, Cul-Q, 1977 ; Terre de mue, Cul-Q, 1978 ; La vie en prose, les Herbes rouges, 1980 et « Typo », 1985, 1993 ; Ange Amazone, les Herbes rouges, 1982 ; Du côté hiéroglyphe de ce qu’on appelle le réel/Devant le temple de Louxor le 31 juillet 1980, les Herbes rouges, nos 102-103, 1982 ; Adrénaline, Noroît, 1982 ; Les coïncidences terrestres, La Pleine Lune, 1983 ; Jeunes femmes rouges toujours plus belles, Lèvres urbaines, 1984 ; Belles de nuit, les Herbes rouges, 1984 ; La constellation du Cygne, La Pleine Lune, 1985 ; Quartz et mica, Écrits des Forges, 1985, Guernica, 1987 ; Vava, l’Hexagone, 1989 ; La lune indienne, Écrits des Forges, 1994 ; Le dieu dansant, l’Hexagone, 1995 ; La montée des anges (cassette), Écrits des Forges, 1995 ; Les murs de brouillard, Écrits des Forges, 1997 ; Céleste tristesse, l’Hexagone, 1997.
De plus, elle a écrit des dramatiques radiophoniques : Belles de nuit, ( ainsi que Les égouts de New York et Un jour de printemps l’hiver), les Herbes rouges, 1983.