Anne-Marie Garat est une femme chaleureuse et pleine de vie, dont le regard est constamment illuminé par l’enthousiasme quand elle raconte ; elle est également une romancière extrêmement consciencieuse, préoccupée par son travail.
Pour l’auteure d’Aden (Prix Femina 1992), « la littérature n’est pas un objet de loisir, elle a une fonction humaine et grave ce qui ne veut pas dire ennuyeuse », se hâte-t-elle d’ajouter. Dans l’effervescence qui entourait la présentation d’Aden, Anne-Marie Garat s’est volontiers prêtée à un retour sur ses romans précédents, traversés par un fil conducteur aussi subtil que solide.
Nuit blanche : Comment résumeriez-vous Aden ?
Anne-Marie Garat : L’histoire se passe aujourd’hui, en novembre 1991 pour être précise. Un informaticien de haut niveau rentre d’une mission à New York et se retrouve à un carrefour de sa vie : avec sa femme, dont il est séparé et qui demande le divorce ; dans son travail, à propos duquel il a découvert qu’il servait des marchands d’armes ; et dans sa relation avec sa mère qui a été victime d’un accident. Donc, cet homme se retrouve, à 45 ans, rejeté vers lui-même et sera obligé de faire un parcours qui semble être un parcours arrière, dans sa mémoire, mais qui est en fait un parcours en avant. C’est donc l’histoire d’un déplacement, de quelqu’un qui se met à bouger, à se déplacer. Il s’agit en apparence de grands déplacements dans l’espace entre New York et Paris, et aussi Paris et la banlieue, où il se met à aller pour voir sa mère, mais je crois que c’est aussi, et surtout, un déplacement intérieur.
Quels sont les liens entre vos romans, entre vos personnages ?
A.-M. G. : Chacun de mes romans répond à une nécessité, chacun est venu à un moment pour dire ce qui me préoccupait le plus à ce moment-là. S’il y a une continuité, s’il y a une unité, elle vient de moi, elle vient de mon parcours. Je le vois bien en regardant ce que j’ai écrit. C’est plus une manière de faire une synthèse comme ça après coup, que de savoir à l’avance : je n’ai aucune stratégie, aucun plan de mon travail de romancière, j’écris ce qui vient au fur et à mesure.
Qu’est-ce que je peux voir ? Qu’il s’agit le plus souvent de gens à des moments de leur vie où, à l’occasion d’une rencontre ou d’une collision avec d’autres êtres ou avec des situations qui les confrontent à quelque chose qu’ils avaient oublié d’eux-mêmes, une sorte de point obscur, de trou noir dans leur vie, ils sont obligés d’ouvrir les yeux.
Dans mon premier roman, L’homme de Blaye, il s’agissait d’un photographe qui revenait sur des lieux d’enfance ; et c’est comme si, au lieu de retrouver des traces du passé, il se trouvait projeté vers lui-même : les raisons pour lesquelles il fait de la photographie, les raisons pour lesquelles il découpe le temps et l’espace en instantanés, en morceaux de vie, cette espèce de mosaïque de sa vie qui apparaît et qui devient tout d’un coup incompréhensible.
Dans L’insomniaque, un universitaire très amoureux de sa femme éprouve au moment d’un éblouissement, d’un très grand soleil, à l’entrée d’un mausolée, un pressentiment absolu de la disparition, de la perte de l’amour. Et ce sentiment très bref, très fugitif, bouleverse totalement sa vie.
Dans Voie non classée, qui se situe tout entier dans une impasse, en une saison, un printemps, dans une ville qui est une sorte de microcosme, des gens très modestes vivent dans une espèce de voie non classée, c’est-à-dire non répertoriée, non située sur les plans des villes. Le roman consiste en des fragments de leur vie perçus par une petite fille qui passe à l’adolescence, dont la curiosité la pousse à s’intéresser, à s’ouvrir. La vie des gens qui l’entourent lui paraît très mystérieuse et, par le biais des portes entrouvertes, des couloirs, des fenêtres (donc, il y a une fragmentation, un petit peu comme en photographie), elle atteint des morceaux de vie, qu’elle rassemble comme une mosaïque, sans bien comprendre ce qui se passe d’un endroit à un autre.
Dans Chambre noire il y avait aussi, sous une tout autre forme, un peu la même démarche. C’est l’histoire d’une famille sur un siècle, mais pas du tout dans l’ordre chronologique, ni sous forme de récit traditionnel. J’essayais de composer là aussi une mosaïque, là aussi une sorte de montage, de morceaux de vie, de moments de vie de toutes sortes de gens, qui avait pour fil conducteur la question de la chambre noire. À la fois du point de vue photographique, puisqu’il y avait deux photographes dans le roman, mais aussi des chambres de maisons, de vraies chambres, dans lesquelles l’obscurité fait qu’on est tout seul avec soi-même : ce sont des lieux de rencontre avec soi. Et puis d’une autre chambre noire, encore plus profondément enfouie en nous, qui pour moi est la mémoire individuelle.
Il semble que la mémoire est fondamentale dans chacun des romans : les personnages ont essayé de couper, d’oublier une partie de leur passé qui les poursuit, ils sont donc forcés d’y revenir.
A.-M. G. : On peut dire les choses ainsi, mais pour moi il ne s’agit pas de romans psychanalytiques, de retrouver une scène primitive ou je ne sais trop quoi. Ce sont des gens qui ne sont pas amnésiques, ce ne sont pas des gens qui ont une pathologie, qui ont jeté comme un refoulement ou une censure sur un moment de leur vie ; s’illustre plutôt en eux une manière de parler qui est notre fonctionnement à tous, le fonctionnement de notre mémoire, qui est infidèle, approximative, qui n’obéit pas à la chronologie, à l’ordre. En fait nous vivons à rebours, nous vivons à l’envers, et notre mémoire est la manière dont chacun de nous organise ce passé, à travers des strates, des couches profondes, qui surgissent sans que nous le voulions, sans que nous sachions très bien ce qui se passe dans ces moments-là. Cet aller-retour, que nous faisons tous les jours en permanence, est ce que j’essaie de saisir dans le roman.
Je sais bien qu’il y a derrière moi toute l’histoire du XXe siècle, qu’il y a Proust, qu’il y a plusieurs grands écrivains qui m’ont beaucoup formée. Et Claude Simon qui pour moi est un phare. Mais c’est bien plus modestement que je me situe. Ce que j’essaie de faire, c’est un travail sur moi-même qui consiste à faire émerger des êtres de fiction. Parce que je ne raconte pas ma vie, je ne fais pas du roman autobiographique.
L’Autre en soi
À ce propos, vous mettez surtout en scène des personnages masculins.
A.-M. G. : Oui, ils ne sont pas moi, c’est le meilleur moyen d’être ailleurs, d’être dans l’Autre absolu. Celui qui m’est opposé et qui me semble un continent tout à fait étrange, dans lequel le déplacement pour moi est le plus fascinant.
Vous défendez très bien le point de vue masculin, d’une façon crédible.
A.-M. G. : Je suis bien quand j’investis un personnage masculin, j’ai l’impression de m’apprendre des choses à moi-même. Sans doute s’agit-il aussi d’une manière de me défendre de la littérature féminine, au sens de la psychologie ou de tout ce qu’a donné historiquement l’affirmation des femmes dans la littérature, et Dieu sait s’il y avait besoin de voir enfin émerger la parole des femmes qui se sont si longtemps tues ! Je me défends peut-être, en utilisant les personnages masculins, d’un déballage, d’une confidence.
D’ailleurs le seul roman que j’ai écrit à la première personne, le seul personnage qui dit je est un homme, dans Le monarque égaré. C’est vraiment l’homme le plus éloigné de moi qui soit, c’est quelqu’un à qui il arrive une aventure dans son propre corps : il se met à muer, il grandit, il devient une montagne. Ce n’est pas un roman fantastique du tout. Il s’agit d’un entomologiste qui rentre de l’île de Baffin après avoir fait une expédition pour étudier les insectes dans les limites de la nature la plus hostile à toute forme de vie ; au retour de cette mission, il voit s’accomplir en lui une mutation, qui est pour moi l’achèvement de ce qu’il était profondément. Il devient grand et gros, il devient très beau. C’est pas du tout une obésité, une infirmité, ça n’a rien de monstrueux. C’est une espèce d’épanouissement et d’accomplissement de soi qu’il achève en revenant vivre dans les maisons de sa famille. Je dis les maisons parce que ce sont des maisons jumelles, avec toute une colonie de femmes, de mères, de grands-mères, de sœurs et de petites filles qui l’accueillent et auprès desquelles il achève cet accomplissement : il s’accouche lui-même, il accouche un autre être, il est un peu plus humain. Il n’est pas femme, il n’est pas homme enfin je ne sais pas comment dire, parce qu’il fait voler en éclats les catégories sexuelles, les genres.
L’Autre à côté de soi
C’est un roman un peu à part, si on le compare à L’homme de Blaye, à L’insomniaque et à Aden.
A.-M. G. : Mais ne croyez pas que ce soit si éloigné, parce que pour moi Aden est un petit frère de mon Monarque.
En fait, vous voyez, ce sont des personnages migrateurs. Ils migrent à l’intérieur d’eux-mêmes plus que dans l’espace. Et pour moi Aden est peut-être le roman, au point où j’en suis, où j’ai dit le plus précisément l’enjeu de ce déplacement. Aden, fils de migrants, d’exilés, qui a, dans son enfance et dans son histoire d’adolescent, à travers ses études, tenté de fuir l’origine familiale, la guerre qu’ont vécue ses parents, est quelqu’un qui, à nouveau à l’âge adulte, migre à l’intérieur de lui-même, plus que dans l’espace, pour atteindre cet autre qui est en lui. Mais aussi les autres à qui il ne parlait pas, vers qui il n’allait pas, pour qui il avait perdu le langage.
D’une certaine manière, c’est pour cela que je l’appelle Aden. Aden est une ville qui a tenu une grande place dans notre littérature, comme une sorte de lieu symbolique des voyages, des dérives, des départs, poétiques, littéraires ou philosophiques, pour un grand nombre d’écrivains d’Europe, et d’Amérique aussi. L’appel de l’Afrique, l’appel de l’exotisme des Rimbaud, Nizan C’est une ville un petit peu symbolique pour moi, qui dit que, pendant longtemps, l’homme occidental, l’homme blanc riche est allé soigner son mal de vivre, sa difficulté à s’inscrire dans sa société, ailleurs, dans le lointain. Il me semble qu’aujourd’hui, nous sommes arrivés en un temps où nous ne pouvons plus faire ça, où nous ne pouvons plus nous offrir ce luxe de croire qu’il suffit d’aller en Inde, en Afrique, ou je ne sais où, pour trouver la solution à nos questions d’identité. Là-bas, il y a un monde dont on ne peut plus penser aujourd’hui qu’il est simplement pittoresque. Aden est là tout de suite, à côté de nous, c’est-à-dire dans le voisinage immédiat, le proche. Je dirais presque le prochain, au sens chrétien du terme, même si je ne suis pas du tout une écrivaine catholique ou mystique, qui est préoccupée de livrer un message, ce n’est pas ça du tout. Mais l’idée du proche et du prochain m’est apparue dans ce roman comme quelque chose d’essentiel, de central et d’urgent à saisir, parce que les flux de migrations des populations exilées et déplacées, qui sont des questions de notre société d’aujourd’hui, soulèvent des problèmes qui ne se résoudront pas par la haine, par le racisme.
Au fond, ce que fait Aden, d’une certaine manière, tout petitement, dans sa vie privée, c’est cet infime déplacement qui nous permet d’aller un tout petit peu plus vers l’autre, et qui commence par l’autre en nous-mêmes : il faut s’adopter comme autre, se reconnaître comme l’étranger en soi. Aden ne se connaît pas, c’est quelqu’un qui a passé sa vie à se fabriquer des défenses : une forteresse qu’il a inventée autour de lui qui ne se voit pas, qui est invisible. Il peut se promener dans les rues des villes, à New York ou à Paris, comme quelqu’un de tout à fait ordinaire, on ne le remarque même pas. Il y en a des gens comme ça, nous sommes tous comme ça. Mais c’est quelqu’un qui ne va pas bien. Il a tellement inventé autour de lui et particulièrement avec l’informatique, avec ce langage aseptisé, tout à fait abstrait des réalités ; il s’est inventé un tel écran protecteur, qu’il lui faut maintenant le faire voler en éclats, traverser la vitre.
L’informatique a servi à mon personnage comme le substitut d’une langue qui était trop dangereuse : porteuse d’affects, porteuse d’émotions, de passé, de souvenirs. Une fois qu’il a passé l’obstacle du verrouillage de son système informatique, il n’en est qu’aux prémices de son propre déverrouillage personnel. Et la mémoire humaine, c’est une autre affaire que la mémoire informatique, c’est beaucoup plus complexe et pétri de contradictions, ça ne doit obéir à aucune logique, c’est une sorte de chaos, de désordre dans lequel nous passons notre temps à mettre de l’ordre. C’est ça la mémoire, une manière d’organiser, pour que ce soit vivable, tout ce que nous avons vécu, de mettre de l’ordre, comme le font les écrivains.
Nous tentons d’inventer une forme qui soit lisible, transmissible, une histoire qui tienne debout, qui ait une cohérence. Une fois le roman fini, c’est un objet qui appartient à l’art qu’on appelle littérature, qui se présenterait comme une symphonie, comme un tableau, quelque chose d’achevé, de clos sur soi, qui se suffit à lui-même et qui peut se transmettre. Mais ça tient par miracle ! Je dirais qu’il y a quelque chose d’inexplicable à admettre qu’un tableau soit achevé, qu’un roman soit fini. Qu’est-ce que c’est un roman fini ? Bon, seul l’écrivain est capable de dire à un moment : maintenant c’est ça, et je n’ajoute plus un mot et je n’en enlève pas un, et je ne modifie plus rien, et c’est ma totale liberté et en même temps le risque absolu que je prends de décider que c’est comme ça. Je crois que, dans nos vies, nous faisons un petit peu la même chose ; cette espèce de décret, de pari, audacieux, orgueilleux et fou, qui est de dire : ma vie c’est comme ça, de la tenir à bout de bras et d’en rendre compte de cette manière-là.
L’image de la mosaïque s’impose à nouveau.
A.-M. G. : Tout ça tient à un assemblage miraculeux de minuscules tesselles, de petits morceaux qui sont tenus devant nos yeux comme un leurre, tout ça peut à tout instant voler en éclats. Dans la mosaïque même, il y a la marque de cet éclatement. Et au fond ce que vit Aden, c’est un petit peu la même chose, ce moment où une fissure, une minuscule implosion va provoquer l’effondrement de tout le reste. Ça ne veut pas dire que la mort est là, ça ne veut pas dire que c’est fini. Mais c’est la conscience fulgurante que l’organisation de nos vies, la cohérence de nos vies tiennent à si peu de chose. Au fond, tout ce que je suis en train de raconter est assez abstrait, mais il y a des histoires dans mes romans, il y a des gens, des drames qui se nouent et se dénouent.
L’imaginaire du lecteur
Mais ces drames sont circonscrits autour de l’élément déclencheur. Les histoires sont très sobres, il n’y a jamais de détails qui ne servent à rien.
A.-M. G. : Pour moi le dernier travail, la dernière étape d’écriture consiste à élaguer, à rejeter, pour qu’il n’y ait plus rien de facultatif, pour que tout soit nécessaire. J’enlève par exemple des descriptions, des situations, des scènes que j’ai écrites ! Dans Aden, il y avait toutes sortes de développements sur la petite Indochinoise, la voisine de la mère, ou sur son père, dont j’ai eu besoin en écrivant pour me dire qui étaient ces gens, leur donner chair. Et au dernier moment, j’élague, j’enlève, parce qu’il me semble qu’il ne faut pas tout dire au lecteur. Je lis beaucoup et les œuvres de la littérature qui m’ont nourrie, qui m’ont formée, qui ont fait que je me suis transformée avec elles, ce sont des œuvres qui m’ont laissé de la place, dans lesquelles j’ai pu m’engouffrer, reconnaître, entendre une voix, et en même temps trouver des zones d’ombre, des perspectives dans lesquelles je n’avais plus de garde-fou : je parle de Kafka, de Faulkner, de Virginia Woolf ou de Joyce de tous ceux sans doute que les gens de ma génération ont lus à mon âge. C’est-à-dire d’une écriture et d’un art d’écrire qui est donné et en même temps réservé, qui laisse de la place. Mon souci quand je finis mon roman, c’est justement de ne pas tout dire, de ne pas tout décliner, de ne pas délayer.
Par exemple, pour Chambre noire les gens m’ont dit : « Mais tu es folle, avec ça tu as assez d’épaisseur romanesque pour écrire dix romans. » Mais je m’en fiche ! Ce n’est pas mon propos d’économiser du récit, c’est plutôt d’offrir au lecteur une sorte de feuilleté, d’accumuler des ébauches, des propositions de romans possibles, dont chacun pourra décliner les résonances et la suite Chacun porte en soi ses histoires de famille, je n’ai pas besoin de tout écrire, le lecteur est aussi quelqu’un qui a un imaginaire, qui porte du romanesque en lui. Et moi, j’ai pensé ce roman comme une amorce pour que le lecteur fasse son chemin à l’intérieur, trouve sa place. On peut imaginer J’aimerais que ce soit cela pour le lecteur, que le roman s’enfle de l’imaginaire du lecteur, qu’il soit dix fois plus gros de ce que le lecteur y a mis.
Vous sentez-vous proche de ce que fait Patrick Modiano ? Ses histoires sont elles aussi très dépouillées, ses personnages se concentrent sur une partie de leur passé.
A.-M. G. : C’est aussi un écrivain de la mémoire. Nous sommes à peu près de la même génération. J’observe à travers les romans que j’ai lus de lui qu’il fait une sorte d’arrêt sur image, une fixation sur une période de la vie à Paris. J’aime beaucoup ce qu’il fait, cette économie dont vous parlez. Le territoire qu’il explore, qu’il n’en finit pas de creuser et sur lequel il revient avec obstination, et fascination et même presque obsession, est à la fois très local et très daté. Il sait très bien garder, dans l’épure de son travail, la ligne essentielle et éliminer tout ce qui est facultatif.
Comment êtes-vous venue à l’écriture ?
A.-M. G. : J’ai publié tard, mais j’écris depuis très longtemps ; depuis que je suis petite l’écriture a été pour moi un moyen de me sauver, de vivre mieux avec moi-même.
Vous avez publié ensuite à un rythme assez soutenu.
A.-M. G. : C’était mon rythme d’écriture déjà avant. Tout allait dans le tiroir ! Pendant plus de vingt ans Je ne dis pas que c’est une hémorragie d’écriture qui fait que j’écris tout le temps, mais c’est une manière de vivre en écrivant, qui a produit pendant longtemps des livres, des textes achevés, que je ne considérais pas comme aboutis. Je n’en étais pas contente, pas satisfaite. Et quand j’ai eu le sentiment que je pouvais donner à lire, je l’ai fait ! J’ai proposé L’homme de Blaye, qui a été pris. Tout de suite. Je ne me suis pas trompée. Ce n’est pas immodestie que je dise ça, je suis heureuse qu’au moment où, moi, je considérais que j’avais atteint dans mon travail d’écrivain quelque chose de lisible, l’éditeur ait pensé la même chose que moi : que c’était un livre publiable.
Est-ce que le Femina est votre premier prix littéraire ?
A.-M. G. : Non, j’ai eu d’autres prix. Pour L’insomniaque j’avais eu le Prix François-Mauriac, qui est décerné à Bordeaux, dans la ville de François Mauriac, qui est ma ville ; et puis le Prix Alain-Fournier pour Chambre noire. Alors j’ai deux parrains : François Mauriac et Alain-Fournier, c’est pas mal. Mais c’est mon premier grand prix national.
On vous l’a donné pour Aden, mais croyez-vous qu’il récompense aussi l’ensemble de votre œuvre ?
A.-M. G. : Je crois, parce que, depuis L’insomniaque, j’ai toujours été sur les listes de prix quand mes livres sont parus, j’ai frôlé deux ou trois fois des prix littéraires. Il y a sans doute, par ce livre-là, une manière de reconnaître mes autres livres.
Anne-Marie Garat a publié, entre autres :
L’homme de Blaye, Flammarion, 1984 ; Voie non classée, Flammarion, 1985 ; L’insomniaque, Flammarion, 1987 ; Le monarque égaré, Flammarion, 1989, Le Livre de Poche (LDP), 1990 et « Points », Seuil, 1996 ; Chambre noire, Flammarion, 1990 et LDP, 1992 ; Aden, Seuil, 1992, Corps 16, 1993 et « Points Roman », Seuil, 1994 ; Fous de bassin, avec Alain Pujol, Mollat, 1995 ; Merle, Seuil, 1996.