Il y a une raison pour laquelle je laisse traîner sur la table de chevet de mon fils de dix ans un recueil de nouvelles sur les robots d’Isaac Asimov. Je veux qu’Asimov ait sur ses synapses l’impact qu’il a eu sur des trillions d’autres.
Car sous la fulgurante imagination d’Asimov, et à fleur de page, on trouve tout un équipement de gymnastique intellectuelle. Les trois lois de la robotique, inventées par l’auteur, ne sont qu’un prétexte qu’il utilise pour tenter ensuite de les contredire, de les mettre en opposition, de les contourner. Asimov prend un malin plaisir à placer ses pauvres robots dans des dilemmes et des trilemmes qui ont sur l’intelligence du jeune lecteur l’effet de l’haltérophilie sur les gringalets.
Puis, dans la série Fondation, il confronte science et histoire (il invente la « psychohistoire ») et offre un résumé de l’évolution des civilisations, du chaos au monde moderne en passant par les seigneurs de guerre, le féodalisme et tout le reste. On le lit en pensant qu’il s’agit d’un roman d’aventures mais, de la main gauche, Asimov initie le jeune ou moins jeune lecteur à la dynamique des forces qui modèlent l’évolution historique. Un exploit.
On l’a beaucoup dit, Asimov n’est pas le maître du style. Son écriture n’est qu’efficacité narrative. Mais quelle efficacité ! Toute consacrée à la logique et à un réel optimisme pour le genre humain (et le genre robot).
Il y a une autre raison pour laquelle le recueil d’Asimov traîne dans la chambre de mon fils. C’est déjà un lecteur vorace, introduit dans le monde livresque par J. K. Rowling et son Harry Potter. Je le redis : il faudrait donner à Mme Rowling un prix Nobel de littérature hors-série pour avoir enfanté, par la force de sa prose, une nouvelle génération mondiale de jeunes lecteurs.
Mais l’effet secondaire de la tornade Rowling/Potter est la dominance, dans la littérature adolescente actuelle, du fantastique. Du rôle de forces non humaines dans le destin de centaines de valeureux héros. Que feraient-ils sans pouvoirs magiques, elfes, sorciers et vampires amicaux ?
Asimov n’était pas dans le fantastique. Il était dans le scientifique. Il était dans l’ingéniosité de l’esprit humain. Les périls qu’il inventait pour les Terriens et leurs descendants étaient immenses. Mais le seul recours des humains, leur seule chance de survie, était leur intelligence.
C’est vrai dans l’univers d’Asimov. C’est vrai dans le nôtre.
D’où l’importance de laisser traîner des bouquins d’Asimov dans les chambres des petits garçons. Ma fille aînée, elle, l’a déjà lu.