MARLÈNE, DENIS, JOEY, PATRICIA, STARBUCK
MARLÈNE, 25 ans : Mère de famille qui fait son possible pour joindre les deux bouts. Elle travaille comme caissière dans une épicerie Intermarché. Elle aimerait avoir une meilleure job qui lui permettrait de passer plus de temps avec sa fille.
DENIS, 51 ans : Père de Marlène. « Armoire à glace » qui en impose, un vrai. Son désir le plus cher est de retrouver sa fille parce que la vie les a séparés par dix ans de prison. Caractère prompt, grande fierté, il ne se laisse pas écœurer.
JOEY, 24 ans : Chum de Marlène, petit « narfé » qui fait des pectoraux et travaille dans une shop où il fabrique des panneaux de ripe pressée. Son désir le plus cher est de chauffer un pick-up parce que « quand t’es là-dedans, on voit toute ».
PATRICIA, 9 ans : Fille de Marlène, fait du ballet jazz dans la ruelle. Quand ses parents s’engueulent très fort, elle chante du Céline Dion. Enfant de l’inceste du père et de la fille.
STARBUCK : Genre de Lenny ravagé par l’acide, vège, coké ; désir le plus cher : être dans un jacuzzi avec deux blondes bien proportionnées. Il ne faut pas lui parler de Joane car ça le fait brailler, sa langue est épaisse. Narrateur de l’histoire.
Expo-Québec section jeux de foire.
Ambiance sonore. Une petite famille heureuse,
une petite fille, deux adultes.
[…]
STARBUCK – Y’est cinq heures et demie, le monde s’empiffre de pogos, de grosses pout’ pis de pop corn au caramel, les hot dogs dégoulinent rouge, jaune et vert, y’a tellement de friture que le mobilier pis les tentes, ceux qui servent la bouffe ont l’air frits, anyway, sont allés voir les châteaux de sable, les vaches, pis deux trois clounes qui jouaient des tounes plattes. Y’arrive dans notre boutte, le coin des jeux.
KIOSQUE 1 – Hé ! le monsieur juste ici, on a envie de jouer, de jouer, de jouer, c’est en plein le temps parce qu’on vous fait ça à cinq piasses la palette cinq piasses la palette cinq box only for one palette c’est pas cher on en profite yes sir.
STARBUCK – Ça c’est Harry pis ses palettes. C’est un jeu poche pis lette.
KIOSQUE 2 – Deux chances sur trois, common viens voir Steve c’est pas compliqué pogne la balloune jaune avec une fléchette Steve te donne un cadeau WOU hou !
STARBUCK – Les ballounes c’est une pogne, ça toujours l’air plus facile que c’est en réalité.
KIOSQUE 3 – On perd jamais à la roue chanceuse nouvelle partie dans 30 secondes.
STARBUCK – Y’a tout le temps du monde à la roue chanceuse, c’est comme un mélange de loterie pis de poker.
PATRICIA – Maman est-ce qu’on peut aller dans lui, steplaît dis oui, dis oui. Quand est-ce qu’on va dans la grande roue ?
MARLÈNE – Tantôt minou.
PATRICIA – Est-ce qu’on mange un frite sauce avec des bouttes de soucisses ?
MARLÈNE – On mange après les manèges.
PATRICIA – Aaah !
JOEY – Écoute ta mère.
MARLÈNE – On va faire un jeu.
PATRICIA – Oui !!!!!!!!!!!!!! Ah ! lui lui lui lui lui…
JOEY – On en fait un avec des guns.
PATRICIA – Oui !!!! Des guns, des guns, des guns.
JOEY – C’est le fun quand y’a des guns.
PATRICIA – Lui lui lui lui lui…
STARBUCK – C’est comme ça qu’ils sont arrivés vers notre kiosque. Marlène a pas vu Denis tout de suite. Mais quand elle a vu, est venue blême, figée, pus capable de bouger.
La petite court vers le kiosque. Joey la suit, puis Marlène perd son sourire et reste figée.
MARLÈNE – Non on va pas là.
JOEY – Ben oui viens.
MARLÈNE – C’est pas vrai, que c’est ça.
PATRICIA – Papa.
JOEY – J’arrive Patsy.
MARLÈNE – Doux Jésus ciboire de saint-simonac.
JOEY – Que c’est que t’as ?
MARLÈNE – Je rien je file pas.
Joey glisse sa main dans la poche de pantalon de Marlène et prend l’argent.
JOEY – Ça va passer.
MARLÈNE – non euh oui.
Voix de Denis dans le micro.
STARBUCK – Denis l’a reconnue pendant qu’ils s’approchaient. Moi pis Denis, on se connaît de même. Je l’ai senti virer dessour boutte pour boutte, mais pour n’importe qui d’autre, y’a rien qui paraissait.
DENIS – Approchez approchez. Quatre piasses la partie c’est parti mon kiki, plus tu vises, plus grosse va être ta surprise. Y fait beau y fait chaud, c’est icitte que ça se passe. Hé ! la p’tite madame avec le chandail rose avance-toi, avance la belle.
La petite et Joey jouent, déjà complètement absorbés par leurs parties. Marlène a une faiblesse. Denis fixe son attention sur elle.
DENIS – (Au micro.) Oh on a des bons tireurs à soir yes sir.
DENIS – (Hors micro.) Starbuck vas y chercher un verre d’eau.
STARBUCK – C’est où ça.
STARBUCK – Y m’a dit d’aller y chercher un verre d’eau. Mais j’avais pas d’eau là, en tout cas, j’ai eu l’air d’un vrai cave.
DENIS – Laisse faire.
DENIS – (Au micro.) On a affaire à des vrais champions, on continue dans le piton.
STARBUCK – Y se sont rentrés dedans, genre de collision frontale inévitable avec les deux chars ben scrapés.
MARLÈNE – T’es pas mort toé.
DENIS – Comme tu voé . C’est ta mére qui t’a dit ça ?
MARLÈNE – Ça se pourrait.
DENIS – C’est ben elle ça.
[…]
Anne-Marie Olivier « a été conçue dans une tente-roulotte à Alma par une nuit chaude et étoilée ». Diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 1997, elle est l’auteure et l’interprète de Gros et détail, spectacle atypique de contes urbains et de « dramaticules » qui explore un monde apparemment laid où se cachent des beautés subtiles. Récompensé par le prix d’interprétation Paul-Hébert et par le Masque du public 2005, Gros et détail a voyagé au Québec, en France et en Afrique. Ses derniers crus : Le psychomaton, Mon corps deviendra froid et Le coma d’Annette, spectacle solo qui parlera du Québec et de la mémoire.
Anne-Marie Olivier a publié :
Gros et détail, Dramaturges, 2005 ; Le psychomaton, Dramaturges, 2007.