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Christian Roy |
Gros mots, de Réjean Ducharme, acheté à la Librairie acadienne en septembre 2002 |
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Ce qu’il me faut dire immédiatement : Roland Bourneuf m’a enseigné, et tellement bien que je lui ai demandé, c’était en 1978, de diriger mes études de maîtrise, ce qu’il a accepté. Je le désigne volontiers comme mon maître, ainsi que les compagnons appelaient celui qui leur apprenait à travailler, de chantier en chantier. Si j’y tiens, en dépit de l’anachronisme, c’est qu’il favorisait l’expression de la sensibilité dans l’interprétation des œuvres, de préférence à l’application d’un cadre théorique (approche que je ne récuse pas et à laquelle je ne dédaigne pas d’emprunter, mais qui s’accordait moins à ma nature et à mes désirs). Aussi parce que l’image de ces artisans parcourant les routes convient à l’écrivain qui a si souvent traité de la route, du chemin, du parcours, ce dont témoignent les titres mêmes de certains de ses livres :
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Pourquoi ne pas l’avouer ? Je suis intimidée. Certes devant l’œuvre littéraire, mais tout autant devant l’engagement profond et soutenu de Nicole Brossard à l’endroit de la parole femme.
Dans L’entaille et la durée1, le fil rouge de sa pensée traverse un demi-siècle, de 1969 à 2019, selon une quarantaine d’essais tirés d’un corpus initial de quelque 300 titres. À ce jour, la seule anthologie de la pensée de Brossard publiée l’a été en anglais, en 2005. Le doigté et l’intelligence du travail de Karim Larose et Chloé Savoie-Bernard, qui ont colligé les textes, comblent avec bonheur cette absence.
Au commencement du verbe femme
Dès ce commencement, Nicole Brossard met à nu une vérité crue et cruelle. Ce verbe femme s’inscrit hors de l’histoire, sa parole subordonnée à l’histoire patriarcale. Pragmatique, elle écrit que la femme qui a beaucoup lu . . .
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Michel Pleau |
Comment je suis devenu un vieux poète |
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Lire de front deux bandes dessinées distinctes racontant la même histoire… l’exercice n’est pas nouveau mais jamais banal non plus. Et quand l’histoire frappe l’imaginaire tout en étant véridique, l’expérience s’avère doublement – que dis-je, quadruplement – enrichissante !
Le destin de Stéphanie St-Clair défie la vraisemblance. À New York, on la surnommait « Queenie » ou encore « la Française », mais elle venait de la Martinique. Partie de rien, elle a monté des affaires (souvent illicites) qu’elle menait d’une poigne de fer. Elle est devenue riche et influente bien qu’elle fût une femme, qui plus est immigrée et racisée.
Harlem au temps de la prohibition
Dans les années 1920 et jusqu’en 1933, en pleine prohibition, Harlem connaît une période de vitalité culturelle qui voit notamment éclore de futures légendes du . . .
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C’est décembre, un ciel lumineux brille sur Moncton. Je viens de passer les derniers jours à me laisser imprégner par l’œuvre de celui avec qui je m’entretiendrai durant la matinée. Comme moi, Christian Roy vit dans la capitale culturelle acadienne. Il fréquente des lieux que je fréquente et connaît des gens que je connais. C’est difficile à croire, mais nous ne nous sommes jamais rencontrés.
Dans un café de la rue Saint-Georges, c’est un homme à l’œil rieur et au regard franc que je découvre, un amoureux des mots, un amateur de musique, un traducteur, un gars posé et sympathique. Quelqu’un qui fait du stand-up à ses heures, quelqu’un qui a déjà pensé en avoir terminé avec la poésie, mais qui sourit sereinement aujourd’hui à l’idée que L’étoffe des braises, son septième recueil, paraisse dans le courant de l’hiver.
Bref panorama d . . .
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L’histoire d’une ville érigée pour satisfaire les besoins d’une compagnie extractiviste ne peut être qu’une histoire d'horreur. Dans Voyage au bout de la mine1, Pierre Céré expose en détail comment, de la Noranda Mines dans les années 1920 à Glencore aujourd’hui, la population de Rouyn-Noranda paye de sa santé la prospérité de la grande entreprise.
Comme le souligne Alain Deneault dans sa préface, Voyage au bout de la mine met en lumière « l’exploitation polluante et coloniale » qui constitue l’histoire de l’Abitibi. L’ouvrage fait notamment ressortir l’incurie des pouvoirs publics placés devant les faits, ce que Deneault nomme « l’incapacité politique à imaginer autre chose qu’un statut de quêteux auprès des investisseurs d’envergure mondiale ».
Le parti-pris de Pierre Céré pour plus de justice sociale est notoire, lui qui se porte à la défense des . . .
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Après une entrée remarquée dans la vie littéraire québécoise par le biais de la poésie, Jean-Simon DesRochers s’est fait connaître d’un plus vaste lectorat grâce à deux romans denses et polyphoniques : La canicule des pauvres (2009) et Le sablier des solitudes (2011).
DesRochers est également professeur de littérature à l’Université de Montréal. Comme chercheur, il s’est intéressé à la création littéraire, privilégiant une démarche au confluent des sciences cognitives, de la philosophie et de l’anthropologie. À cet égard, il a signé Processus agora en 2015, un essai qui propose une approche bioculturelle de l’acte créatif dont relève tout texte de fiction.
Ses deux premières œuvres romanesques, publiées préalablement aux Herbes rouges, sont maintenant offertes dans la collection « Compact » des Éditions du Boréal. Complexes, déjantées, fourmillantes de vie, grouillantes d’excès . . .
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Né à Montréal en 1966, Jean-Philippe Dupuis est cinéaste et poète. Cinéaste, il a remporté, en 2011, le Prix du meilleur film canadien pour Saint-Denys Garneau, au Festival international du film sur l’art (FIFA) de Montréal. Poète, il a fait paraître, depuis 1999, quatre recueils, dont Langue maternelle, finaliste aux prix littéraires du Gouverneur général en 2014.
Les yeux d’un animal au repos, son plus récent livre, évoque l’enfance et ses jeux, la nature, les premiers remous de l’amour mais aussi la présence de la mort. Le regard du poète est celui des commencements. Chez Dupuis, l’écriture semble jouer le même rôle que la caméra : elle nous fait voir le monde. Rencontre avec un poète discret et attentif à la fragilité des êtres.
Michel Pleau : Pour commencer, je vous propose l’exercice, pas si facile . . .
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Dans la collection « micro r-m » du Remue-ménage, nous trouvons quatre titres. Il s’agit de textes assez courts, dont le petit format devrait faciliter la diffusion.
Le travail ménager
Le féminisme italien a une longue histoire. Louise Toupin, professeure et chercheuse montréalaise spécialisée en études féministes, avait déjà publié des entretiens avec deux de ses figures marquantes en 2014 dans son livre Le salaire au travail ménager. Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977).
Toupin s’entretient d'abord avec Mariarosa Dalla Costa. Cette dernière est l’auteure de Potere femminile et sovversione sociale (Le pouvoir des femmes et la subversion sociale), qui a eu un grand impact dès sa parution en 1972. Elle y défendait la thèse que le travail ménager non payé des femmes sert en fait d’exploitation capitaliste. Ce travail est nécessaire pour la reproduction sociale, qu . . .
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Chaque année, les enseignants de littérature doivent répondre à la même question : quelles œuvres inscrire au plan de cours qui sera remis aux étudiants ? Une nouvelle préoccupation s’y est greffée au cours des dernières années : les œuvres choisies risquent-elles de provoquer de l’inconfort chez les étudiants, de les heurter ? Doit-on opter pour une œuvre du jour ou un classique ? Quelles œuvres sont considérées comme incontournables, voire essentielles pour contribuer au développement d’un fonds culturel commun ?
Deux livres récemment parus s’intéressent à ces questions : Canons. Onze déclarations d’amour littéraire1, sous la direction de Virginie Blanchette-Doucet, et La nostalgie de Laure2 d’Isabelle Arseneau.
Le fait d’intégrer un livre dans un plan de cours, écrit Virginie Blanchette-Doucet en introduction de ces onze déclarations d’amour littéraire, a un réel . . .
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« Toute ma vie, j'ai essayé de fusionner
la poésie, la philosophie et la science
dans une seule phrase universelle. »
La chair ne peut générer un authentique désir sans mouvement perpétuel.
Nous ne sommes pas faits pour l’équilibre dans l’échange, même en circuit fermé. Dans la vie ordinaire, nous lisons sans cesse le même programme redondant de la félicité sans perfection.
Entre les biologies surréalistes et les intelligences démentes, existe-t-il un espace non entaché de leur présence ?
Nous sommes tous porteurs de mensonges plus ou moins élégants, dans la raison comme dans le sentiment.
Comment prétendre à un seul rêve vrai quand la nature est partout tributaire du mensonge de la matière dans la vie.
La vie saute d’un corps à l’autre à la recherche d’un moment éternel dans un mouvement infini. Mais à force de bouger, elle finit par s’épuiser.
Ma vie, je la . . .
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Extrait d’un récit à paraître aux Éditions 8 en mai 2024
Il me faudrait mettre un terme définitif au mythe de la maison natale que je traîne depuis si longtemps. Le petit pavillon à demi caché dans un bouquet d’érables plein de recoins et de mystère n’a jamais existé que dans mon imagination. Peut-être aussi dans celle de mes deux frères aînés, je ne sais, nous n’en avons jamais parlé dans les quelques années où nous avons vécu ensemble comme adolescents.
Quand mon père est parti à la guerre vers ce lieu vague qu’on appelait « front de l’Est », nous sommes restés sans ressources. Les autorités avaient promis une aide aux épouses des prisonniers ou plutôt aux veuves de guerre, nous n’en avons jamais vu la couleur. Mon père n’est pas revenu. Je ne sais trop comment la mère allait se débrouiller pour nous faire vivre . . .
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Emporté par le sida à la veille de la cinquantaine, Michael McDowell (1950-1999) est reconnu aux États-Unis comme un maître de la littérature d’horreur. Auteur de romans gothiques méridionaux tels que Les brumes de Babylone (1980) et Cauchemars de sable (1981), il a aussi scénarisé Beetlejuice(1988) de Tim Burton et coscénarisé L’étrange Noël de Monsieur Jack (1993) d’Henri Selick. La saga en six volumes1 intitulée Blackwater, qui paraît pour la première fois en français, relate le destin des Caskey, riche famille de propriétaires d’une scierie, dans une petite ville de l’Alabama, entre 1919 et 1968.
Les six romans ont initialement paru aux États-Unis chez Avon Books en 1983, à raison d’un tome par mois à partir de janvier, conformément au vœu de l’auteur, qui souhaitait imiter la périodicité des feuilletons. Les éditions Alto . . .
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C’est en plein confinement, au temps pas très lointain de la pandémie, que Jacques Brault entreprend d’écrire l’essentiel de ce qui sera son dernier recueil. Durant quelques années, une longue maladie l’aura précédemment détourné de l’écriture. Ce sera pour saluer la mémoire de sa compagne de toujours, Madeleine, décédée en 2014, qu’il rédigera enfin À jamais1.
Le statut de ce livre posthume est tout à fait particulier. Il tient d’abord à sa nature, mais sa signature y est pour beaucoup. Bien entendu, en tant que tel, ce livre suffit amplement à susciter notre admiration, ses qualités intrinsèques correspondant à ce que sous la signature du poète nous avons depuis maintenant presque 60 ans l’habitude de lire. Mais sa plus-value en grande partie résulte aussi de la conjoncture qui fait que c’est en tant que chant du cygne que son auteur l . . .
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La bande dessinée québécoise traverse une période dorée. Son essor s’observe notamment dans la veine documentaire.
D’emblée, pour une partie du public moins au fait de l’évolution du neuvième art, il convient de souligner qu’effectivement, il existe une BD pouvant être qualifiée de documentaire, au même titre que certains ouvrages ou films. Le spectre est large, puisque le documentaire comprend tout ce qui ne correspond pas à de la fiction.
Reportages, essais et carnets de tournage
Les éditions de la Pastèque sont, depuis la fin des années 1990, au cœur de la professionnalisation de la bande dessinée québécoise. En 2018, elles allient leur savoir-faire à celui d’Atelier 10 (qui publie entre autres le magazine Nouveau Projet) pour piloter la collection « Journalisme 9 », consacrée à la BD de . . .
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Lorsque l’on m’a proposé d’écrire dans cette fameuse rubrique, j’ai fait comme je le fais toujours quand on me donne l’occasion de vivre une expérience littéraire ou professionnelle inédite : j’ai dit oui presque tout de suite. Saisir la balle au bond d’abord, analyser en profondeur ce que cela suppose ensuite.
Cependant, au moment de m’asseoir pour rédiger ces lignes, je me dois d’admettre que l’expérience est assez singulière… et qu’elle m’occasionne plus de maux de tête que je ne l’aurais pensé ! En effet, à titre de chroniqueuse littéraire spécialisée en imaginaire, je considère qu’il y a quelque chose d’assez paradoxal dans le fait de consacrer un texte entier à un livre que je n’ai jamais lu – à plus forte raison que j’ai normalement le mandat de promouvoir avec enthousiasme des nouveautés québécoises, et que je le fais surtout parce que les œuvres . . .
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Professeure à l’Université de l’Alberta, Maïté Snauwaert s’intéresse aux œuvres littéraires et artistiques qui représentent la fin de vie, le vieillissement, et la perte d’un être cher, qu’il s’agisse d’un parent, d’un conjoint ou d’un enfant. Dans son dernier essai11, dont le titre est emprunté à Joseph Luzzi2, écrivain et enseignant expert de l’œuvre de Dante, l’auteure poursuit cette exploration aussi dense que riche par les pistes de réflexion qu’elle propose.
L’essai, qui se divise en cinq parties, repose sur la prémisse suivante : les écrivains qui, à la suite de Roland Barthes, dont le Journal de deuil a été publié presque 30 ans après la mort de sa mère, ont également traité de la perte d’un être cher, ont donné naissance à un nouveau genre littéraire. « Par . . .
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Se décrivant avant tout comme un pédagogue, Jean-François Létourneau a publié un essai sur la poésie autochtone en 2017 (Le territoire dans les veines) et un roman à caractère autofictionnel en 2021 (Le territoire sauvage de l’âme). L’an dernier, il a signé, en compagnie de Sébastien Langlois, un second essai, cette fois s’intéressant à la chanson de tradition orale et à ses multiples ramifications (En montant la rivière). Depuis 2016, Létourneau agit en tant que conteur au sein du projet Marchands de mémoire, un collectif qui propose des spectacles alliant poésie, chanson et musique trad.
Poétique d’un Nouveau Monde pas si nouveau…
Dès l’introduction de ce dernier livre, qui vise notamment à faire connaître la poésie des Premiers peuples à un plus vaste lectorat, un constat est dressé : « Aujourd’hui, la scène littéraire québécoise se voit transformée par . . .
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Tout comme la quinzaine de romans de Philippe Claudel1, Crépuscule, le dernier opus du secrétaire général de l’Académie Goncourt, est une intrigue policière fortement métissée de saga historique, de fable philosophique et même d’essai politique.
Dramaturge, cinéaste, mais aussi auteur de récits, d’essais et de poésie, Claudel évoque à l’infini le même postulat que proposait il y a 2 000 ans le dramaturge latin Plaute2, qui a par ailleurs inspiré Shakespeare et Molière : l’homme serait-il un loup pour l’homme ?
La sinistre question demeure d’actualité et le prolifique romancier ne cesse d’y faire référence, par exemple dans son œuvre récente : « [S]ur les haines anciennes se déposeront des haines neuves, les unes et les autres composant un terreau inépuisable et fertile pour le mal à venir ». Où l’espoir se terre . . .
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