Loïs, treize ans, Parisienne, adore l’équitation, la nage, l’escalade murale et l’échange de textos avec ses copines. Son autre passion : la lecture, sur papier.
Les livres illustrés que ses parents lui lisaient quand elle était bambine l’ont d’abord amusée, par exemple l’ensemble des très drôles Chi, une vie de chat ou encore la série Barbapapa qui véhicule de belles valeurs humaines, touchant à l’éducation, à l’écologie, à l’entraide, au sport, etc.
Plus tard, Loïs a dévoré Harry Potter, La guerre des clans, Percy Jackson et les dieux grecs et Les royaumes de feu.
Mais assez vite elle a découvert les romans mettant en vedette des fillettes de son âge, puis manifesté, qui plus est, une prédilection pour les ouvrages écrits et publiés au Québec. À neuf ans, Loïs s’est entichée de la série Marianne Bellehumeur, destinée aux enfants de dix ans et plus, publiée par l’auteure Lucille Bisson chez Boomerang éditeur jeunesse.
Loïs avait aperçu le tome 1 dans une librairie à Paris, lequel a suffi pour qu’elle devienne une inconditionnelle de Marianne. Son attachement au personnage s’est maintenu jusqu’au sixième et dernier tome, puis étendu aux deux hors-séries subséquents, tous ces livres ayant paru entre 2016 et 2020.
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La littérature jeunesse québécoise a tout pour séduire les jeunes lecteurs francophones, autant au pays qu’à l’étranger, et même les adultes peuvent la découvrir avec plaisir.
Les organismes du livre et les médias lui accordent régulièrement leur attention. Par exemple, l’Association des libraires du Québec a créé en 2011 le Prix des libraires du Québec, volet jeunesse, qui récompense annuellement des ouvrages parus ici ou ailleurs, selon toutes les catégories d’âge allant de 0 à 17 ans. Les Libraires, le trimestriel de l’Association, consacre des chroniques à la littérature jeunesse et il en a fait le thème de son numéro des mois d’avril-mai 2023.
Le Devoir n’est pas en reste. En 2023, pour marquer la tenue du Salon du livre de Montréal, le LED, magazine culturel du quotidien, comportait les 25-26 novembre une section « Spécial jeunesse ». Cela faisait écho à l’article rédigé par Yannick Marcoux pour l’édition du 26 novembre 2022 du même Devoir, intitulé « Littérature jeunesse : le vent dans les voiles ».
La série Marianne Bellehumeur illustre l’engouement pour cette littérature. En 2018, son auteure avait vendu 10 000 exemplaires du premier tome et 3 000 exemplaires des tomes suivants. (Voir « Un 6e et dernier tome pour Marianne Bellehumeur », Le citoyen de Val d’Or – Amos, 25 octobre 2018, consulté sur le Web le 23 mai 2023.)
Déjà en 2016, un livre sur trois vendu au Québec était un titre jeunesse. En 2021, on recensait la parution d’environ 1 500 titres !
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Mais qu’est-ce qui a tant pu fidéliser Loïs à la série Marianne Bellehumeur ? Selon ses propres dires, l’histoire qui se passe au Québec lui a permis de mieux connaître le pays de son papa, un Québécois naturalisé Français. On fondrait à moins. Nul besoin pour quiconque aime les livres de chercher une autre justification à la lecture : s’ouvrir à d’autres réalités, à d’autres mondes, à d’autres horizons. Explorer la richesse de l’altérité, de sa propre filiation.
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Sur bien des plans, quand même, la réalité d’une jeune Parisienne ressemble à celle d’une petite Québécoise. S’y mêlent semblablement les parents, la fratrie, les copines et les copains. Les mamies et les papis. Les cousins et les cousines. Les animaux de compagnie.
À la fin du sixième tome, Marianne explique : « [J]e suis une adolescente comme les autres qui a vécu des choses ordinaires comme en connaissent des milliers de filles de mon âge tous les jours ».
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De prime abord, la série Marianne Bellehumeur se révèle écrite très habilement. L’action est bien menée et envoûtante, et elle a mission de sensibiliser les lecteurs aux défis et obstacles que l’on peut rencontrer et surmonter au cours de la vie. Comme les titres des volumes comportent presque tous le mot cœur, on saisit que les sentiments jouent un rôle primordial.
Âgée de douze ans et inscrite en sixième année scolaire dans le tome 1, Marianne fréquentera la première secondaire dans le tome 3. Le hors-série 01 lui donnera quatorze ans, alors qu’elle atteindra seize ans dans le hors-série 02.
L’action se passe d’abord à Montréal, puis, au fil des obligations professionnelles du papa, elle se déplace à un mythique Rocher-sur-Mer, près de Rimouski et, enfin, à Matane. Cette mise en situation géographique fait ainsi connaître le Québec des régions, et en ouvre les possibilités.
Dès le départ, Loïs a pu trouver en Marianne une complice, car cette dernière s’occupe d’un cheval et rêve de devenir vétérinaire, ce qui deviendra l’une des perspectives d’avenir de Loïs.
Tout au long de la série, le lecteur assiste aux tiraillements familiaux qu’une enfant peut subir : un petit frère Mathis qui l’embête et une petite sœur Rosalie nouvelle née qui lui fera perdre encore davantage la vedette au sein de la famille. Marianne, qui désire toujours plus d’autonomie, se fait souvent gronder, puis gâter, par ses parents, qu’elle accuse invariablement d’être les pires du monde, puis les meilleurs. Seuls les parents comprendront.
À l’école, outre parfois l’ennui qu’engendrent les études et les cliques, se succèdent les conflits entre filles, semés de jalousie, d’intimidation et de harcèlement.
Côté garçons, Marianne tombe amoureuse à répétition, mais elle a du cran. Sa force est de ne pas se laisser manipuler. Et les garçons fautifs se le font dire.
Fidèle en amitié, Marianne est un soutien pour le beau Noah dont elle s’était éprise et qui lui avouera être gai. Même que le papa de Marianne devra se montrer compréhensif quand il amènera Marianne avec lui en voyage d’affaires à Québec dans l’espoir de se rapprocher d’elle, alors que Marianne préférera profiter de l’occasion pour revoir Noah inscrit depuis lors dans un collège de la capitale.
Compatissante devant les difficultés que sa best friend, ou BFF (best friend forever), Estelle éprouve, Marianne se sentira coupable de l’avoir trahie quand elle devra aider la police à la retrouver, car Estelle avait fugué.
Les classes sociales sont évoquées. Le papa de Marianne travaille dans une banque ; Marianne elle-même peut s’occuper du cheval Manguo que possède son papi et sa famille jouit d’un chalet à Gaspé, mais sans que ces avantages ne soient prépondérants. Une amie non moins choyée par la vie ira faire du ski à Vancouver, cependant que le père d’Estelle est en prison pour homicide et que Laura souffre de ce que son propre père, d’une extrême violence, lui a cassé un bras. De plus, Laura sera hébergée avec sa mère et sa fratrie dans un centre pour femmes en détresse. Les milieux familiaux diffèrent donc du tout au tout, mais restent compatibles avec les réalités sociales d’aujourd’hui.
La diversité, thème hautement prisé à l’heure actuelle, se manifeste aussi dans les origines ethniques : sa copine Lilou est française ; Summer est « l’Amérindienne » et quand cette dernière va en vacances, c’est bien sûr à Listiguj, une réserve autochtone située en Gaspésie. Maï Lin est vietnamienne et adoptée ; Malaïka, haïtienne. Zack a le teint « couleur café au lait », et c’est sans parler des « jumeaux musulmans ». Tous ensemble, ils représentent bien le Québec contemporain.
Les différences lexicales sont également soulignées entre Marianne et Lilou, qui découvrent ainsi les rien à cirer, fatras, pagaille, d’une part, et les full dégueu, polyvalente, grouille-toi, c’est poche, d’autre part.
Heureusement, Noah, devenu « le Gai », ne reçoit pas d’étiquette homophobe de la part de ses camarades ; même que Marianne tient un discours appuyé à la défense de l’homosexualité quand les parents du garçon condamnent son orientation sexuelle.
Le récit, si ouvert qu’il soit à l’homosexualité, ne permet toutefois pas à Noah de vivre des amourettes, comme ses camarades le font ouvertement. Noah amoureux de Jordan ? De Clément ? De Vincent ? « Pourquoi pas ? » pourrait-on demander à l’auteure de la série. N’aurait-il pas été naturel, en effet, que Noah éprouve lui aussi de tels sentiments ? Qu’il connaisse son premier baiser, comme Marianne ? Cependant que Marianne s’insurge quand son papa déclare à son petit frère Mathis qu’il ne convient pas à un garçon de vouloir apprendre à faire du tricot. Marianne livre alors un message pour contrer ce préjugé : tout peut être fait par les garçons et les filles.
Marianne la rebelle réagit aux événements. Elle trouve des solutions. Déterminée, elle est une adolescente de son temps, mais pourquoi Vincent, l’unique garçon de la bande, est-il le seul à concevoir les sketches que les filles vont jouer lors d’une soirée spectacle, en plus d’être le metteur en scène et le maître de cérémonie ? Pourquoi ce rôle subalterne attribué aux filles ?
L’adolescente sait surmonter ses peurs, par contre. Est-elle la proie d’un prédateur ? Elle s’en confie à la direction de son école, aux policiers et à ses parents. De plus, elle accepte d’en témoigner publiquement, ce qui l’amène à faire preuve de beaucoup de courage. Peut-elle faire une bonne action ? Elle ne demande pas mieux. Ainsi, elle et sa bande organiseront-elles un party costumé pour fêter leur copine Laura, à qui elles fourniront un costume de princesse, car Laura s’était toujours rêvée en princesse. À une autre occasion, elles adresseront une lettre empreinte de bienveillance à la vieille madame Zénia, restée seule pendant les fêtes de Noël.
Faire le bien, se montrer à l’écoute, être empathique sont les thèmes majeurs de la série Marianne Bellehumeur. Ici et là se glisse l’occasion de se sensibiliser aux souffrances du monde, que ce soit la guerre en Pologne à l’époque nazie, la guerre au Burundi ou le tremblement de terre en Haïti qui avait décimé la famille de Malaïka. La vieillesse, la maladie, la mort s’ajoutent comme thèmes proposés.
Plus teinté d’espoir est le rôle tenu par la fantasque mamie Claire, toujours joueuse et aimante, toujours prête à se joindre à une mission humanitaire, par exemple au Népal ou au Nicaragua où elle emmènera Marianne.
Dans tout ça, qu’en est-il de Loïs, la lectrice parisienne ? Eh bien, on comprendra d’emblée pourquoi la série lui a tant plu. De tome en tome, d’un hors-série à l’autre, Loïs aura pu trouver en Marianne une complice, une âme sœur au pays de son papa. Et papa, ouvrir une fenêtre sur la compréhension de l’univers de sa fille. La prochaine fois qu’il lui demandera si sa journée à l’école s’est bien déroulée et qu’elle répondra brusquement « Oui », il saura les drames, les surprises, les déceptions, les émotions qui auront meublé cette journée, typique de celles que vivent les adolescentes de son âge.
L’auteure Lucille Bisson explique, dans la section du tome 5 intitulée « Textos entre l’auteure et son personnage », qu’elle visite les écoles, les bibliothèques et les salons du livre. La série invite en effet à la discussion de par ses thèmes et ses mises en situation d’une grande justesse, autant pour les adolescents que pour les adultes. C’est là toute sa pertinence.
Tous les livres de Lucille Bisson ont été publiés aux éditions Boomerang.
La série Marianne Bellehumeur compte six tomes :
Les pirouettes du cœur (2016) ; Entre le cœur et la raison (2017) ; Avec les yeux du cœur (2017) ; Le cœur sur la main (2017) ; Le cœur en folie (2018) et À cœur ouvert (2018).
L’autrice a aussi publié Panique au mont Kalmia (2019) et Au cœur d’Agua-Verde (2020).