Je dois être un peu new age, un peu marsouin : j’adore les baleines, leurs voix, leur gigantisme. Un peu catastrophique aussi : j’appréhende leur disparition, la folie des humains n’en étant qu’à ses humbles débuts. Dame baleine est peut-être trop grosse, aurait dit La Fontaine. Je me console alors en pensant à Melville et à Cousteau ; ceux-là, plus sages, savaient que le dos du cétacé est pareil à celui d’un continent, aussi vaste et profond que l’inconscient, calme et torturé comme le désir.
Marc LeMyre, qui se décrit comme « technicien de l’émotion » et « porte-poussière de l’intuition », sent les amplitudes mystiques du merveilleux mammifère. C’est sans doute pourquoi il découpe les zones qui le constituent, cousues d’extraits de son carnet de notes urbaines, rédigées à mille lieux de la mer. Quatre régions de l’imaginaire de la poésie et de la photographie s’enchâssent dans ce recueil les unes dans les autres par la matière des sculptures orales, lesquelles ne manquent pas d’ironie et affichent même parfois quelques élans iconoclastes bienvenus. La « langue sans condom », si elle paraît au départ quelque peu loufoque, surtout quand elle voit large, demeure furieusement proche de l’organique, concrète, empirique, et multiplie les niveaux de conscience, allant des hot-dogs usagés ou d’une Chrysler 1974 à l’ensemble infini des gouttes du monde. J’appelle cela le politique, au sens où cette poésie, dans ses flic flac salubres, participe du déploiement de l’Esprit.
Si Marc LeMyre se sent porté par une incontournable responsabilité (ce n’est pas par hasard qu’il est très actif dans le milieu culturel franco-ontarien : en plus d’être membre du CA de la Société des écrivains de Toronto, il animait par exemple en mars dernier un cocktail littéraire au Collège universitaire Glendon puis présentait, en avril, le projet Turandot, produit par le Théâtre la Catapulte), ce n’est donc pas simplement dans le but de résister à ceux ‘ banquiers voleurs ‘ « qui prétendent [le] servir / à coup de 40 cents le retrait ». C’est en fait pour participer à l’éclosion du cosmos : « C’est par le non du poète que l’autre arrive à son oui et de façon concomitante au seuil d’un dialogue assaini avec l’Univers ». Or, il me semble parfois entendre, dans ce geste périlleux, provenant du fin fond de son océan, le mouvement d’une détresse qui, pour être sublimée, n’en surgit pas moins dans la folie du paradoxe : « Malgré la canicule j’ai le givre à l’œil ».