Contrairement à ce qui s’est produit avec le judéo-christianisme, le bouddhisme – qu’il s’exprime sous sa forme hindoue, japonaise, chinoise, tibétaine ou autre – participe de ces religions qui obéissent au culte du Grand Homme. Loin de s’appuyer sur le drame primordial du meurtre du père fondant la culture et la Loi, ce qui a pour conséquence la nécessité logique de la transgression (c’est là tout l’attrait du péché) pour accéder à la jouissance, le zen implique un paradoxe : quand deux dames baptistes demandent à l’auteur de Zen questions, Robert Allen, s’il croit en Dieu, il peut à la fois sans contradiction répondre « oui », « non », « je ne sais pas », « je m’en moque ». Hein ? Oui : « Quand vous nommez quelque chose, vous le limitez. En fait, si vous voulez le Zen, soyez rapide, et jetez-le ! » Bon, voilà qui est faire un sort peu commun à la fonction de la parole et du langage.
Quelle est la tâche à laquelle se consacre l’auteur avec ce petit ouvrage ? En finir avec la perception populaire que le zen est une chose rare venue d’Orient et par conséquent, démocratiser la chose. C’est pourquoi il faut commencer par le commencement, qui n’en est jamais que l’illusion. Des questions sont donc énoncées, mais les réponses ne peuvent être que l’indication qu’il faut trouver sa propre réponse. Le disciple ressemble à l’analysant : il doit apprendre à ne pas céder sur son désir. Une fois ce passage effectué, il pourra faire déchoir le maître. « D’où le zen est-il venu ? », « Comment pratiquer zazen ? », « Le zen va-t-il me rendre fou ? », « Puis-je faire demi-tour ? » – voilà bien autant de manières d’affronter le vide du vase, plus essentiel que ses parois. L’ouvrage de Robert Allen a cette qualité d’être simple sans être simpliste, accessible sans être stupide, de mettre en lumière la nécessité d’affronter le « Ne Pas Savoir » sans tomber dans les clichés du quiétisme. L’illumination ne vas pas sans ignorance et quiconque s’engage dans le chemin conduisant au samâdhi (l’ultime étape sur la voie de l’illumination) pour y acquérir un savoir du monde ou de soi ne trouvera qu’herbes desséchées.