Le sport est un exercice de mémoire : pour les joueurs, surtout, qui doivent, par-delà leur habileté, se souvenir des failles de leurs adversaires, mais aussi pour les partisans, qui accordent aux victoires de leur équipe une vertu capable de les galvaniser. La mémoire supporte ainsi la transmission du sport et lui accorde cette aura qui en fait la pratique culturelle la plus universellement partagée. Lorsqu’il est narré, le sport s’inscrit aussi dans un désir (ou devoir) de mémoire. En témoigne le cas d’une figure sportive exclue comme celle de Jackie Robinson, qui est le cœur de l’excellente nouvelle de Bertrand Gervais dans le numéro spécial sur ce thème édité par XYZ, La revue des nouvelles, sous la direction de Régis Normandeau.
De fait, la place de la mémoire dans la célébration des exploits sportifs est au centre d’un bon nombre de nouvelles qui constituent le dossier. D’ailleurs, les meilleures d’entre elles usent de cette plongée dans le passé pour mettre en évidence un rapport trouble au monde contemporain. Ainsi, Jean-François Chassay associe l’exercice du souvenir d’accomplissement d’athlètes à une jouissance dont le narrateur a bien besoin pour se fortifier et retrouver une normalité sexuelle. Ses actions sont alors ponctuées par la quête d’un moment électrisant, tel cette drive de Joe Montana qu’il appelle de tous ses vœux. Il en va de même pour Renald Bérubé, cette fois dans une nouvelle qui insiste sur l’absence d’un désir (la faim) compensé par les souvenirs fastes et subjectifs du baseball et du hockey. L’acte de remémoration entraîne chez le narrateur le retour du goût à la vie. Le sport acquiert ainsi un pouvoir de transcendance par le truchement d’un passé réhabilité. La meilleure nouvelle toutefois revient à Jean-Pierre Vidal, qui joue sur les travestissements de la mémoire, où la technologie permet de pousser à ses extrêmes limites l’identification aux héros.
Il y a dans ce numéro de XYZ de grandes nouvelles sportives (d’autres hélas tombent un peu à plat), qui laissent entrevoir la richesse de ces activités ludiques qui font retour et ont participé à la formation d’un individu et d’une culture. Le sport, thème d’apparence triviale, est aussi une méditation sur le temps, sa perte et les tentatives faites pour en assurer la pérennité.