Depuis le XIIe siècle, le pèlerinage à pied sur les chemins de Compostelle a fait couler beaucoup d’encre et l’on ne peut que saluer l’initiative de l’historien Antoine de Baecque de proposer une anthologie regroupant divers types d’écrits (études et récits) s’y rapportant. Bien qu’incomplet et sélectif, comme le sont toutes les anthologies, le recueil d’une soixantaine de voix a toutefois le mérite d’offrir une perspective diachronique permettant d’observer différents modèles d’interprétation et d’usage du Camino, avec des constantes et des variantes. Les raisons d’entreprendre ce pèlerinage ont évidemment évolué dans le temps. « Des marcheurs de Dieu » aux « randonneurs contemporains », de saint Augustin, qui au Ve siècle « explicite la spiritualité liée au désir de pèlerinage », à l’écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin, subjugué malgré lui en 2011 par l’appel d’une « immortelle randonnée » (« j’ai senti le Chemin agir puissamment en moi et me convaincre, pour ne pas dire me vaincre »), cette compilation propose aux marcheurs et aux lecteurs de multiples manières de parcourir les routes compostellanes : religieuse, historique, spirituelle, mystique, intimiste, critique, voire ironique, etc.
Parmi ces écrits, le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, composé vers l’an 1140 par le moine poitevin Aimery Picaud, semble tout particulièrement s’être imposé par la suite à des générations de marcheurs. En effet, bon nombre des auteurs se réfèrent à ce texte que de Baecque n’hésite pas à considérer comme un « ancêtre possible des guides de voyage modernes ». On retrouve également des extraits de récits qui ont servi de vade-mecum à de nombreux randonneurs, comme Le grand chemin de Compostelle de Jean-Claude Bourlès, le récit Mon chemin de Compostelle de Shirley MacLaine et le Priez pour nous à Compostelle des journalistes Pierre Barret et Jean-Noël Gurgand, rapidement « devenu le classique de la randonnée pèlerine ». Un grand absent toutefois, le fameux récit de Paulo Coelho, Pèlerin de Compostelle, qui aurait incité plusieurs marcheurs nord-américains et brésiliens, entre autres, à se mettre en route.
En n’offrant que de brefs extraits, l’anthologie ne permet pas d’observer l’ensemble des topoï typiques des récits de pèlerinage, comme la structure narrative qui consiste à surmonter la tentation d’abandonner avant la fin pour parvenir ensuite à un stade de dépouillement libérateur, comme les recommandations d’usage sur le poids du sac à dos, ou encore l’opposition entre les vrais Jacquets et les touristes, ou les fameuses révélations sur les bienfaits thérapeutiques de l’ascèse et de la fatigue, etc. En revanche, malgré la diversité des lieux d’où parlent les auteurs (religieux, historiens, sociologues, journalistes, écrivains, artistes, etc.), le recueil rend bien compte de la tendance chez certains à subsumer leur parcours dans la continuité d’une lignée historique ou livresque, de marcher dans les traces des générations de pèlerins qui les ont précédés, d’évoquer certaines légendes traditionnelles, de signaler quelques sites et vestiges du visitandum est à contempler. Roncevaux, par exemple, est indissociable de « La Chanson de Roland », Le Monte del Gozo de la coutume du « roi du pèlerinage » et Santo Domingo de la Calzada de la légende « du pendu dépendu ». Peut-être est-ce là ce qui suscite encore aujourd’hui l’enchantement de cette épopée pèlerine : la possibilité de mieux se connaître soi-même tout en parcourant un espace de sens commun qui prend appui sur une longue tradition. « La condition de l’enchantement sur un chemin comme celui-ci, écrit l’un des auteurs, le professeur en sciences de la communication Yves Winkin, est de ne pas apparaître comme un chemin récemment construit pour les cheminants. » En fait, même après avoir lu tous les textes de ce « guide historique, pratique et spirituel », bien malin celui qui pourrait expliquer cette « attraction mystérieuse » (Rufin) qu’exerce depuis des siècles le Chemin des étoiles.
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