Il fut un temps, assez long, où le partage de textes à peine plus étendus qu’un quatrain constituait une activité sociale aussi répandue que le coup de téléphone ou le 5 à 7 d’aujourd’hui. Fouinant dans la poésie française de la Renaissance à aujourd’hui, Claude Gagnière exhume une série de traits témoignant d’une culture de la parole qui nous semble déjà bien loin.
La compilation recense trois types de pièces : d’abord les épigrammes cruelles, ensuite des madrigaux, plus tendres, et enfin des « fantaisies », vers ludiques accordés à des circonstances très diverses. Il ne s’agit cependant pas d’un dictionnaire. L’auteur regroupe les morceaux selon une liste alphabétique de thèmes, entourant chacun d’une introduction et d’un commentaire à saveur historique, où la délectation esthétique et le plaisir de l’anecdote sont de mise. Le volume échappe ainsi à la futilité d’une simple anthologie, car en nous rendant sensibles au contexte d’émergence de ces petites attaques ou caresses il nous offre en partage une étonnante étude de mœurs.
Ainsi, à la rubrique « Foutre ! », Claude Gagnière prend d’abord soin de nous entretenir de l’utilisation des jurons dans la société d’autrefois, en ne manquant pas de citer quelques occurrences cocasses. Par ailleurs, la rubrique « Pucelage » nous en apprend long sur l’appétit sexuel d’Henri IV qui, à peine quelques semaines après la mort de sa femme, déboursa cent mille écus et quelques territoires pour une jeune vierge.
Comme il fallait s’y attendre, ce « temps où l’on savait se venger d’un bon mot par un autre bon mot » est surtout représenté par les XVIIe et XVIIIe siècles. On traque toutefois des relents de la tradition jusqu’au siècle d’Apollinaire et de Mallarmé. Une «fantaisie » de ce dernier a d’ailleurs fait naître l’art postal : rédiger le nom et l’adresse de certains destinataires de ses lettres sous forme de quatrain !
À parcourir dans le désordre cet ouvrage, on en vient à se laisser prendre au plaisir des mots entretenu par Claude Gagnière, qui a réussi un bel équilibre entre la légèreté du sujet et la rigueur, l’intérêt des observations.