Vous ne le saviez sûrement pas : il se trouve encore en notre XXIe siècle des ingénus sans malice (j’allais écrire des imbéciles soi-disant éduqués) pour opposer les sciences exactes et appliquées aux sciences humaines et sociales, les disciplines hard aux disciplines soft, ainsi soit-il. Le pire, c’est que ces individus qui se croient originaux et bien fondés dans leurs lieux communs sont légion. Il suffit pourtant d’avoir un jour approché, ne serait-ce que timidement ou de loin, la création, sans avoir cherché à la transformer en marchandise, pour cesser à tout jamais de colporter pareilles inepties. Les travaux de Paul Valéry, d’Hubert Reeves et d’Isabelle Stengers, pour ne prendre que ces trois noms, ne démontrent-ils pas, preuves à l’appui, que l’art et la science sont l’un comme l’autre mus par l’imagination créatrice, aptitude douloureusement humaine et par excellence spirituelle ?
Or, pour évaluer la pertinence des rapprochements et des divergences identifiables, encore faut-il, comme le proposent Jean Bernard et Brigitte Donnay dans leur magnifique montage de réflexions et d’illustrations, comprendre que la différence fondamentale entre la démarche artistique et la démarche scientifique réside dans le fait que celle-ci, contrairement à celle-là, ne fond pas en un même projet l’expérimentateur (l’artiste) et le champ de l’expérience (l’œuvre). Autrement dit, c’est moins parce que le savant découvre et que l’artiste invente qu’ils se distinguent que parce qu’ils exercent autrement leur chair et leurs muscles. Bref, tout est ici question de perceptions et de sensations, d’émotions et d’intelligence.
Peu importe donc que l’on privilégie les hémisphères, les hormones ou le système limbique pour expliquer les relations complexes et à la limite indéchiffrables entre beauté, connaissance, douleur, jouissance, imagination et création. Ce qui importe finalement par-dessus tout, c’est que, comme le rappellent à juste titre les auteurs de cet ouvrage, scientifiques et artistes articulent coûte que coûte leurs pulsions expressives dans l’horizon de l’autre, même s’il n’existe parfois qu’en soi. Sans doute est-ce par la conscience de l’altérité qu’ils osent relier des points du monde que tout éloignait.