En ouverture de son dernier livre, Maude Veilleux écrit qu’elle est d’accord avec Pierre Popovic, à savoir que la poésie doit être d’une netteté absolue. Elle donne le ton aux pages qui suivront.Le souffle des poèmes saisit. Si on en avait un aperçu dans Last call les murènes, recueil paru en 2016, c’est dans ce nouveau livre qu’il prend son ampleur. Il ravage. C’est un cri de rage, d’incarnation et de survie. C’est une spirale qui emporte tout, si bien que je ne sais plus où se trouvent le début et la fin des poèmes, où la poésie de Veilleux s’est mêlée à mon propre flux de pensées. Les idées sont lâchées lousse et à travers elles, la voix narrative ironise, prend position et pouvoir, elle expose sa pluralité intérieure. Le discours est double, triple, et à mesure que je lis, comme la poète, je me sens défoncée par la vie, écartelée entre la place qu’on se fait et celle d’où l’on vient : « [E]t j’aime encore mieux ne pas parler / je veux rôder à deux pieds au-dessus du monde / être invisible comme une enfant à la table des adultes / discrète / à qui on ne s’adresse pas ».« [C]’est pas de notre faute si le trou dans nos ventres / se comble si facilement par une nouvelle paire de nike » : Maude Veilleux n’a de cesse de le mettre en lumière, ce trou dans nos ventres. Elle me coince dans le piège de mes contradictions. J’en rêve aussi de ces possessions matérielles qui rempliraient le creux que j’ai parfois dans la poitrine (ma bibliothèque et ma garde-robe qui débordent et m’en donnent mal au cœur pourraient en témoigner.) Au fil des pages, je réalise que les monstres ne dorment que pour un temps, comme si on se racontait des histoires. L’opposition vérité/mensonge, dans tous les livres de l’autrice, occupe une place importante, ce n’est pas dans ce nouveau livre qu’on en sort : « [J]e voudrais être plus que moi / k / i’m a fucking liar / pour vrai / vous comprenez », « je ne suis pas mythomane / seulement mélangée entre les possibilités du réel ».L’autrice s’amuse de l’air du temps autant qu’elle peut en être victime ; elle le met à sa main, se fond dedans, s’en moque, l’interroge sans relâche. Du premier recueil jusqu’à celui-ci, sa voix s’aiguise, fait doucement place à une forme de tendresse et elle dit, plus fort que jamais, sa confiance absolue dans le pouvoir salvateur de l’écriture. Son discours se déroule entre beauté et laideur, la vie y pulse et s’y débat. La poète illumine avec puissance les moments d’intimité qui à la limite nous foutent le malaise, elle les expose, les déconstruit, pour en faire jaillir une réalité, une parole comme échappée d’une tête hors de l’eau : « Si je perds le langage / je suis sans refuge ».J’ai parfois la sensation d’évoluer, sur le plan littéraire, à des milles de l’univers dépeint dans les livres de poèmes de Maude Veilleux. Ce qu’elle propose peut avoir l’air d’un capharnaüm. On peut mettre en question son lexique et sa manière d’utiliser la langue (les passages les plus scatologiques ne sont pas mes préférés). Je ne veux pas utiliser des mots qui ont tellement été remâchés qu’ils ne veulent plus rien dire, pour parler de sa poésie, parce que ça serait rester à la surface de ce qui est pour moi une traversée des apparences absolument claire qui s’approche de façon fulgurante du réel. Et je sais que ma sensation d’éloignement est illusion, que je partage profondément le besoin du refuge des mots et de la littérature dont Veilleux parle, cette incapacité à adhérer au monde, à entrer vraiment en relation avec lui. J’aimerais jaser milieu d’origine, région, drogue, anxiété et suicide avec l’autrice, d’incertitude aussi, et de comment on trace la ligne entre le vrai et la mise en scène. Parce que c’est dans ces zones-là que sa poésie se faufile en moi et me fait un nœud dans la gorge.
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