Fruit d’un enseignement universitaire, ce livre constitue un opportuniste catalogue des idées reçues sur Réjean Ducharme. Je te cite, tu me cites, je te remets la politesse et je m’assure ainsi que tu publies mon livre dans la mignonne collection que tu diriges. Nous disons la même chose et nous sommes contents et heureux de l’être. Il y a bien par-ci par-là quelques observations utiles, mais pas une idée et surtout, pas de vie, rien qu’une insupportable suite de clichés. Au hasard, cette observation fine : « Les textes de Ducharme s’appliquent à introduire de l’étrangeté au cœur du plus familier »… Autre perle de néant : « […] lecture et écriture sont […] indissolublement liées chez Ducharme ». Bref, voilà un ouvrage à ce point insignifiant que je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un canular. Eh bien, non ! C’est présenté avec tout le décorum nécessaire, ce qui rend la chose encore plus pathétique.
Les deux axes de l’ouvrage : d’abord, une originale série de considérations sur la conception de la littérature comme recyclage dont les éléments se trouvent mobilisés dans la bibliothèque imaginaire (selon l’expression consacrée par la critique savante) de l’écrivain ; ensuite, l’examen de l’élaboration d’une morale prétendument assise sur la lucidité, l’a priori ‘ Élisabeth Nardout-Lafarge galvaudant un instant Nietzsche ‘ que dans « la réitération et la persistance [de Ducharme] s’exprime forcément quelque chose comme une morale » (je souligne). Partant de là, le grand écrivain québécois serait un homme de la marge et même, ne ménageons rien, « à la marge de la marge ». C’est pourquoi, selon l’auteure, son écriture redirait « qu’il n’est d’écriture qu’au prix d’une sorte de reniement de soi, rageur et douloureux ». Quel ridicule ! On comprend l’insistance de la digne professeure à parler de paradoxe chaque fois qu’elle fait face à l’existence au sein d’une même séquence de deux pôles structurels ou existentiels, incapable d’assumer que la littérature se nourrit d’ambiguïtés, d’antinomies, de contradictions, de condensations. Autrement, elle serait la réalité.
Je pardonne généralement la platitude, sauf quand elle table sur la vanité. Du haut de sa riche expérience, l’auteure précise par exemple que lorsqu’on enseigne l’œuvre de Réjean Ducharme à des jeunots, « il faut construire des médiations, déplacer, mettre à distance métadiscursive ce que le texte a de menaçant, tout en s’efforçant néanmoins de ne pas édulcorer l’énoncé dévastateur, de ne pas le banaliser ni trop en émousser le tranchant ». Ouf ! Imaginons ses petits protégés dans un cours sur Pierre Guyotat… Voilà donc le discours du maître tel que Jacques Lacan l’a repéré et dénoncé.