L’histoire de l’Inde tarde d’autant plus à dégager ses lignes de force qu’elle ne présenta longtemps aucun intérêt pour la population indienne. Marquée par la placidité hindouiste, l’Inde se jugeait hors du temps et valorisait la constance plus que les bornes kilométriques. Il faudra l’entrée en scène des commerçants musulmans pour que noms, dates, changements viennent ponctuer le temps et étoffer le récit historique. C’est seulement sous la domination britannique que l’Inde sera soumise aux recensements, relevés statistiques et autres codifications qu’affectionne la modernité et qui fondent le pouvoir des bureaucraties. L’histoire religieuse souffre de flottements plus amples encore. Les spécialistes distinguent une phase védique marquée par les rituels pratiqués par les brahmanes et requis par les détenteurs du pouvoir, une deuxième phase qui répand le culte de Vishnou et de Shiva et une troisième qui coïncide avec les derniers siècles du premier millénaire chrétien et voit émerger un hindouisme modulé selon d’innombrables cultes de dévotion. C’est au cours de cette troisième étape que le bouddhisme accélère son déclin en Inde et que l’islam, bien que toujours minoritaire, monte en puissance. La prudence, conclut Éric Paul Meyer, demeure de mise : « Plus que toute autre, l’histoire religieuse de l’Inde est conjecturale, faute de repères chronologiques sûrs ».
L’Inde passera quand même du morcellement à un nationalisme de plus en plus affirmé. Le comportement presque schizophrène de Londres provoquera la volte-face. « Alors qu’en métropole la démocratie progresse à grands pas, en Inde triomphe un système autocratique. » Le paradoxe fait songer à Napoléon houspillant les duchés et baronnies germaniques jusqu’à provoquer leur regroupement. Les comportements britanniques indisposent tellement les Indiens qu’ils en oublient leurs divergences et s’unissent contre la morgue coloniale. La sanglante révolte des cipayes (1857) durcit les positions : l’Angleterre réagit en faisant de sa reine une impératrice. Quand Gandhi entre en scène, ses appels à la désobéissance civile trouvent un sol préparé. L’Inde demeurera cependant divisée contre elle-même, au point que survient la partition de 1947 : d’un côté, l’Inde et sa majorité hindoue ; de l’autre, le Pakistan et sa majorité musulmane. Comme, malgré tout, la tension persiste, un troisième pays naît en 1971, le Bangladesh.