Avec Une enfance de Jésus, l’écrivain sud-africain J. M. Coetzee signe un roman allégorique d’une grande efficacité. À travers une déconcertante économie de moyens – prose concrète et sobre, usage parcimonieux des adjectifs –, Coetzee met en place une intrigue kafkaïenne qui provoque l’adhésion du lecteur dès les premières lignes.
L’histoire tourne autour de Simón, un homme d’âge mûr qui a pris sous son aile un garçon de cinq ans prénommé David. Ils sont arrivés ensemble par bateau d’on ne sait où. On ignore le motif de leur exil et eux-mêmes ont oublié la vie qu’ils ont laissée derrière. Simón et David ne sont même pas leurs véritables noms. Pendant le voyage en mer, l’enfant a perdu la lettre qui indiquait sa filiation. Simón entreprend alors de lui trouver une nouvelle mère. Le pays qui les accueille n’est jamais identifié. Tout pointe vers un État d’Amérique du Sud, mais il peut aussi s’agir d’un pays imaginaire, car la ville où se réfugient les deux personnages – Novilla (génisse en espagnol) – est une localité fictive qui, malgré des lieux précis tels des établissements administratifs ou sportifs, dénote un caractère irréel. Après avoir trouvé un logement et un emploi sur les docks, Simón décide qu’Inés, une jeune inconnue aperçue sur un court de tennis, est toute désignée pour devenir la mère de David. D’abord récalcitrante, Inés finit par accaparer l’enfant et en faire sa chose, une situation que Simón s’efforce de rectifier en continuant de se soucier du garçon.
On peut s’attendre à ce que ce livre suscite une foule d’essais universitaires. Coetzee a créé une fable aux relents de dystopie d’une grande originalité. Des conversations philosophiques avec les dockers sur l’indignité d’un travail pénible et absurde jusqu’à la confrontation du réel et de l’imaginaire symbolisée par l’édition pour jeunes de Don Quichotte que David transporte partout, Une enfance de Jésus renferme de multiples pistes d’interprétation, mais sans rien d’aride ni d’opaque. Tout un tour de force narratif !