Il est d’usage chez les écrivains voyageurs de stigmatiser le tourisme de masse et de fuir les circuits touristiques convenus. Le journaliste Taras Grescoe a plutôt choisi de voyager parmi les touristes pour mieux les critiquer. C’est donc dans les « endroits où les ornières des touristes ont été le plus profondément creusées » qu’il entend donner la pleine mesure de son approche iconoclaste. Coquillard, il parcourt à l’envers une partie du fameux pèlerinage à pied de Saint-Jacques de Compostelle. En France, il loue une voiture afin de mettre à l’épreuve certaines étapes recommandées par les guides Michelin. Il poursuit son périple par un voyage organisé et expéditif en autocar d’une semaine à travers l’Europe : « […] sept jours, sept frontières ». À Baden-Baden, il prend des bains d’eaux thermales comme les générations de voyageurs huppés qui justifiaient leur escapade pour des raisons de santé. Après avoir adopté la livrée du pèlerin à Saint-Jacques de Compostelle, de l’étudiant qui fait son « tour d’Europe », du touriste balnéaire au Club Med de Corfou et du voyageur mondain à Baden-Baden ou en croisière au large de Venise, il se glisse dans la peau de l’aventurier le temps d’une petite expédition à Zermatt, une des principales stations de sports d’hiver de Suisse, ou encore d’une session de trekking dans les montagnes de Thaïlande. De ces multiples expériences, il résulte un ouvrage volumineux, très documenté et rempli d’allusions littéraires et historiques. En effet, l’auteur mêle judicieusement ses expériences personnelles à des informations historiques sur les voyages, des plus anciens comme les pèlerinages au plus récents comme l’ « écotourisme pompeux ». Mais surtout, Grescoe profite de ses visites dans les hauts lieux touristiques pour tirer à boulets rouges sur ce qu’il nomme ces « consommateurs de paysages » qui se contentent, dans leurs « bulles touristiques », d’être « les témoins d’un simulacre d’authenticité ». Mais alors, se demande le lecteur, voyager a-t-il encore un sens ? Le voyage est-il inévitablement une arnaque et un « continuel reality show de l’authenticité mise en scène » ? À ce sujet, Taras Grescoe est plutôt laconique. Certes, nous dit-il en terminant son récit de voyage, « l’authentique existe encore [ ]. Mais il faut faire des efforts pour l’atteindre : apprendre des langues, écouter attentivement, offrir son amitié ». L’important est de s’ouvrir à l’Autre et de se désaliéner d’une perception ethnocentrée et fantasmée de l’ailleurs : « […] mes voyages les plus réussis comportaient l’échange et la découverte plutôt que l’autocongratulation, la fanfaronnade patriotique et la consommation ».
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