Le premier roman de Jean Marc Dalpé, dramaturge franco-ontarien connu pour mettre en scène des laissés-pour-compte, s’ouvre sur une mise en joue. Qui vise quoi ? Dès les premières lignes, l’écrivain nous entraîne dans un corps à corps avec la langue. Cette histoire écrite d’un seul souffle, presque crachée, d’une urgence absolue, nous happe pour nous planter dans le nord de l’Ontario, au beau milieu de tragédies qu’on n’imagine jamais si grandes parce que trop loin du monde dit civilisé.
Tragédie de Marcel, emprisonné pour avoir tiré Joseph, l’oncle et père adoptif de Marie dont il était devenu l’amant. Celle que Marcel aimait secrètement est maintenant enceinte. Alors il tire, ou croit tirer. Parce que tout est flou ; pendant dix ans, tout est affaire de mémoire, « sauf qu’une bonne partie de ce qu’il croit se souvenir est inventée ». Inventé, le désir de Joseph pour Marie qui vit sans vivre, comme morte à elle-même ? On pourrait croire que oui, parce qu’après la mort de Joseph, Marie continue d’habiter avec sa femme, la tante Rose, que l’inceste a conduite au bord de la folie. Une nuit, Rose tente de se noyer, mais trop pleine de colère pour accepter la mort, elle se tire de l’eau glacée, venant mourir échouée sur un banc de neige. Marie continue d’habiter la maison avec Méo, un enfant dressé comme un chien, remarque le curé de la paroisse.
Dix ans après le meurtre, Marcel sort de prison. Marie vend la terre dont elle a hérité. Ils achètent un garage à trente minutes de là. Comment y sera la vie ? Jean Marc Dalpé baisse son arme. Il a fait vivre un monde habité d’êtres déchirés, a fait entendre leurs cris silencieux. À nous d’être des lecteurs à la hauteur de ce qu’il a écrit.