Le rôle du voyage, écrivait en substance Nicolas Bouvier, est de purger la vie avant de la remplir. La pensée de l’écrivain-baroudeur se matérialise avec beaucoup d’à-propos dans le premier roman de Mathieu Meunier, d’autant plus que le moyen de transport utilisé, le vélo, fait preuve d’une volonté profonde de dépouillement. L’œuvre est d’ailleurs placée sous l’autorité de Jack Kerouac, autre romancier aux semelles de vent, convoqué en épigraphe.
Pris d’un désir de fuir une vie qui sans battre de l’aile ne vole pas très haut, le narrateur d’Un vélo dans la tête entreprend la descente du continent américain sur le dos d’une Poliquin mauve, bicyclette antique, de Vancouver jusqu’à la Terre de Feu. Il emporte dans sa besace quelques vêtements, une tente et Les portes de la perception d’Aldous Huxley, cueilli dans la bouquinerie d’une « libraire aux yeux verts », clin d’œil complice à Jacques Poulin. Son voyage est toutefois entrecoupé de retours momentanés à Kuujjuaq, afin d’entretenir son maigre viatique.
En chemin, le cycliste est soumis aux vicissitudes de la route et à ses épreuves, dont la faim, la soif, les chiens, les coyotes, le soleil et la pluie ne sont que quelques exemples. Dans cet état de vulnérabilité extrême, les petits riens acquièrent une dimension sacrée et la solidarité humaine prend tout son sens. De San Diego à Monterey en passant par Loreto, le narrateur en transit rencontre ainsi plusieurs personnages qui lui permettent de partager sa solitude : la mystérieuse Soyouz, marquée par les crevaisons de la vie ; Paul, le Texan au maillot jaune, émule de Lance Armstrong ; Sam, l’ancien Marine avec qui il consent à faire un bout de chemin. À Mazatlán, le vol du vélo sonne précipitamment la fin de l’odyssée transcontinentale.
Partout, la présence souriante de Jacques Poulin plane sur le livre de Meunier, pour le plus grand bonheur du lecteur. D’abord dans l’économie de moyens d’une écriture toujours lumineuse, qui fait à sa façon acte de simplicité volontaire ; ensuite dans le choix des intertextes, américains en bonne partie (Steinbeck, Miller, Hemingway), et dans la disposition de courts chapitres aux titres intrigants. L’auteur livre un éloge de la lenteur touchant, drôle et authentique, une soupape de décompression dans un monde où souvent tout se bouscule. Le tout est bien senti et d’une efficacité redoutable.