La pédagogie s’exprime ici dans toute son intelligence. À la lecture des premières pages, le lecteur peut se croire gentiment invité à savourer les couleurs et les parfums de jardins surgis ici et là. Ce serait déjà sympathique, mais l’auteure s’empresse d’élargir la perspective en ouvrant la grille d’espaces aménagés et embellis par de fervents professionnels de l’aménagement et de l’horticulture. Qu’on songe simplement aux Jardins de Métis ou aux Jardins du Précambrien. Les merveilles de ce deuxième palier n’épuisent pourtant pas le savoir-faire de Jacqueline Bouchard. Elle entend, en effet, en anthropologue à l’écoute de toutes les formes de vie, nous dévoiler les étonnantes passerelles jetées entre l’art et la nature dans le cadre d’audacieux et éphémères festivals. Qu’on songe à l’ampleur du défi : les créateurs invités n’auront que quelques semaines sinon à peine quelques jours pour faire surgir un décor là où la nature aurait normalement requis des mois ou des années de patience. Avant le festival, il n’y a rien ; quand s’ouvre la célébration, chacun présente ce qu’il est parvenu à façonner en contournant souplement les lois de la nature. C’est la troisième étape d’un survol dont le sens profond nous est dévoilé dans sa liberté et sa beauté. « Comme les Aborigènes, les artistes contemporains s’inspirent du genius loci, l’esprit des lieux, pour créer des œuvres éphémères dans la nature : ils tiennent compte de la géographie et de l’aspect visuel de l’endroit, mais ressentent aussi son passé historique et son énergie tellurique et spirituelle. »
L’auteure met ainsi en application l’exigence de Bachelard qu’elle cite en exergue : « L’homme a besoin d’une véritable morale cosmique, de la morale qui s’exprime dans les grands spectacles de la nature pour mener avec courage la vie du travail quotidien ». Les motivations, telles qu’elles sont d’abord apparues, semblaient échevelées : l’une se dotait d’un lieu de beauté pour y méditer, l’autre demandait aux végétaux leurs secrets médicinaux, une troisième comptait sur les fleurs pour attirer le chaland… Mais ce n’était là que le premier pas vers les « jardins mythiques où tout a commencé ». Livre réfléchi, pénétrant, aux belles et multiples résonances.