Explorateur inlassable des terres de l’imaginaire, ainsi que le qualifie Nancy Huston dans la préface de Un prosateur à New York, Göran Tunström est mort à Stockholm en février 2000. Né en 1937 dans le Värmland, en Suède, il laisse derrière lui une œuvre riche, dense et originale qui a su atteindre l’universel en ce qu’elle puise au cœur même du monde dans lequel l’écrivain a évolué. Un monde régi par des règles calvinistes qui prédisposaient davantage à la connaissance des frontières le délimitant qu’à la recherche de leur abolition afin de percer l’horizon et les secrets qu’il recèle. Fils de pasteur, l’image du père retenant l’attention d’une foule, avec la seule force des mots, a sans doute marqué la sensibilité et l’imaginaire de l’écrivain. Ses romans, dont L’oratorio de Noël et Le livre d’or des gens de Sunne, illustrent l’immense pouvoir d’évocation de cette écriture, à la fois écho d’un monde en disparition et manifestation irrévérencieuse d’une liberté entièrement assumée.
Un prosateur à New York se présente comme une longue nouvelle qui illustre bien à la fois le style et le propos de Tunström. La nouvelle met en scène un écrivain qui quitte la Suède pour échapper, comme il le dit lui-même, « à la totale absence de tintouin » qu’allait provoquer la sortie de son dernier livre. Arrivé à New York avec pour seul bagage la phrase qui serait le déclencheur de son prochain roman, « une brise légère faisait trembler les feuilles de l’arbre dans la chaleur de l’après-midi », il se met à la recherche du lieu idéal qui lui permettra de poursuivre son projet à l’abri de cette indifférence qui couronne ses efforts. Parcourant les petites annonces d’un journal en quête d’un logement, il déniche l’endroit rêvé pour mettre son projet à exécution : le studio d’un peintre qui doit s’éloigner de New York pour quelque temps. Notre prosateur, par l’un de ces tours que seul le destin nous joue parfois, se retrouve à épouser l’identité de ce peintre méconnu et, plus encore, à connaître la célébrité du jour au lendemain sans même l’avoir cherchée. Ironie du sort qui apporte enfin le succès à qui fuit son pays justement par manque de reconnaissance en prenant, de surcroît, l’identité d’un artiste comme lui méconnu en son propre pays. Un prosateur à New York joue sur le registre de l’identité, et du besoin inassouvi de reconnaissance, avec une ironie décapante qui fait du bien.