« J’écrirai ton livre, mais ce sera le mien. » Cette phrase de Claire Varin au début de l’ouvrage donne d’emblée le ton de ce récit biographique qui porte sur son père, Roger Varin, né en 1917, mort en 2007. Elle s’adresse à lui, lui expose son parcours, tout en formulant ses propres vues sur celui-ci. En résulte un aller-retour constant entre le « tu » et le « je », un long dialogue entre cet « homme d’actions et d’idées […] engagé dans son siècle » que les faits, les écrits dessinent peu à peu, et elle, l’écrivaine, sa fille, qui les commente sans se trahir. Claire Varin a l’art d’approcher les êtres réels ou fictifs qui se voilent de mystère. Elle sait en lever les couches et révéler ce qui les rend si émouvants. Pensons à Clarice Lispector dans Rencontres brésiliennes (1987, 2007) ou à Malcolm Wendell Walker dans La mort de Peter Pan (2009). Elle trace ici un nouveau portrait avec la même habileté, la même ferveur, la même qualité d’écriture.
Roger Varin, « artisan de théâtre et animateur incendiaire », mû par la vigueur de la jeunesse et de sa foi en Dieu, a réalisé une infinité de projets culturels entre 1936 et 1956 notamment. L’ardeur combinée au talent en a fait un initiateur. « Tu aimais te tenir en toute naissance, en tout commencement. » Il a déployé une énergie considérable pour que surgissent art, joie et beauté. Il a cofondé les Compagnons de saint Laurent. Il a conçu d’invraisemblables jeux scéniques en plein air. Il a entraîné les Jeunesse étudiante chrétienne, Jeunesse ouvrière chrétienne et Jeunesse agricole catholique dans des projets multiformes et développé l’Ordre de Bon Temps. On lui doit d’innombrables textes. Il a été Poum, le clown de Samedi-Jeunesse à Radio-Canada. Il a fait bien davantage, souvent aidé de son épouse, Jacqueline Rathé. La biographe de ce chevalier à « l’indécrottable idéalisme » interroge parfois ses gestes ou encore les explique avec cette compréhension que la proximité familiale permet. Elle se fait presque l’écho du lecteur étourdi par la démesure occasionnelle du preux.
« Et ces lumières que tu as contribué à allumer… » Claire Varin nous les fait découvrir par le menu. Heureusement, sinon l’apport de Roger Varin à l’enrichissement culturel de ses concitoyens demeurerait inconnu pour qui ne l’a pas côtoyé. Cet allumeur des esprits a opté pour l’anonymat. Reste que ce « prince incognito » a nettement contribué au mouvement d’ouverture qui a mené au « grand bond en avant » de la société québécoise dans les années 1960. Sa détermination et sa créativité se comparent à celles des étudiants du printemps érable. Elles nourrissent cette biographie approfondie, instructive, dont la nécessité est évidente pour la mémoire collective.