« Un Québec différent de la France, des USA, de l’Europe et même, année après année, du Québec. Les Québécois ne cesseront jamais de nous impressionner. [ ] De plus en plus apparaissent les ‘nouveaux Québécois’. » Ainsi s’exprime quasi prophétiquement Gérald Godin, alors simple poète, dans un entretien accordé au défunt Jour en juin 1976 ‘ alors que le futur ministre ne s’imaginait pas un instant, mais vraiment pas du tout, dansant cinq mois plus tard sur les chaises de l’Assemblée nationale au sein du premier gouvernement indépendantiste de l’histoire du pays.
Inépuisable richard de la personnalité que cet homme, sans doute, pour les citoyens que l’on interrogerait subitement au carrefour d’une artère en fourchette de la métropole. Pour celui-ci, Gérald c’est d’abord un écrivain ; pour cette autre, un Miniss’ (doué) du temps de Lévesque. Les moins jeunes se souviennent de la plume caustique et acérée du p’tit jeune au Nouvelliste de Trois-Rivières d’il y a quarante ans, avant qu’il ne mette bientôt celle-ci ‘ bien tôt et déjà, lui le Ti-Casse, le sans-grades qui n’a pas été fichu de terminer le cours classique ‘ au service de l’Histoire de la déprovincialisation en marche chez Parti pris et à Québec-Presse. Il aura jusqu’à joué du pinceau sur toile, ce polyglotte magnifique et grand séducteur des électeurs de Mercier, où un certain 15 novembre il terrassa avec des mots ‘ des mots seulement, mais des mots francs et vrais ‘ le premier ministre qui l’avait sauvagement jeté en tôle en ce rougénoir Octobre de 1970. Pour quelques autres enfin, c’est le compagnon de Pauline Julien ‘ pour laquelle incidemment il écrira des chansons coups-de-poing (Poulapaix, Litanie des gens gentils ) à jamais saisies dans le vibrant timbre sonore d’icelle. Et à jamais disponibles à notre terriblement oublieuse collective « mémoire longtemps ».
Recueil issu pour l’essentiel d’une rencontre menée sous les auspices de l’ACFAS en 1997, Gérald Godin, Un poète en politique se lit d’un trait, sans anicroches sérieuses ; si bien sûr on excepte quelques allocutions un tantinet verbeuses. En attendant une véritable biographie, à venir et nécessaire, ce petit ouvrage nous convaincra malgré tout de l’envergure de ce tendre guerrier ; indécrottable pince-sans-rire dont le purisme non tranchant n’aura pas constitué la moindre de ses qualités d’homme préoccupé par l’humain. Aussi est-ce peu dire que je partage le jugement joliment concis de Marvin Hershorn : « En dernier lieu, sur qui d’autre du monde politique pourrions-nous tenir un colloque à la mémoire d’un personnage qui est de toute évidence un trésor national par son rôle de poète, de journaliste, de politicien, de citoyen ? Godin aura été le grand humaniste de la politique québécoise. »
Car je maintiens que tout Québécois a le devoir de ne pas méconnaître ce que fit et qui fut cette cheville ouvrière de notre univers national. Cheville plus puissante même que l’effroyable tumeur au cerveau qui tenta sans succès de lui sucer mots et mémoire. Car à la fin la bête dut déposer les armes. Et se contenter de lui cambrioler la vie. Gérald Godin (1938-1994), un idéaliste actif. Et puisse Raymond Lévesque avoir tort lorsqu’il écrit : « Quand on est d’la race des pionniers / On est fait pour être oublié » (« Bozo les culottes »).