Voici un ouvrage complet et incontournable à plus d’un titre. Tout d’abord, il réunit quelques récits de prostitution parmi les plus importants de la fin du XIXe siècle, tels Marthe, Histoire d’une fille (1876) de J.-K. Huysmans, La fille Élisa (1877) d’Edmond de Goncourt ou Boule de suif (1880) de Maupassant. Figurent également au sommaire quantité de textes devenus introuvables, tous plus étonnants les uns que les autres : La sortie d’Angèle (1882) du « petit naturaliste » Robert Caze, mort à seulement 33 ans en 1886 ; Chair molle (1885), premier roman de Paul Adam qui lui valut de passer en cour d’assises sous l’inculpation d’outrage aux mSurs ; Virus d’amour (1886) d’Adolphe Tabarant, qui dresse une inoubliable nosographie de la syphilis, ce second mal du siècle après l’Ennui.
Autre fait notable, ce volume assortit les textes d’un passionnant appareil critique et se clôt par le dossier « Documents », qui éclaire sous différents jours (notamment médical et policier) le mythe littéraire de la prostituée. Ce dossier comprend, par exemple, des passages de l’étude de 1836 de l’hygiéniste Alexandre Parent-Duchâtelet, souvent rééditée et remaniée par la suite, De la prostitution dans la ville de Paris. Le dossier fait également place à des extraits d’études d’anthropologie criminelle de Pauline Tarnowsky et de Cesare Lombroso, de même qu’à « Quelques paroles de ‘filles’ », qui nous font terminer cette lecture avec l’impression que le tour d’horizon n’a négligé aucun aspect de la question.
Qu’avait de si particulier la prostitution à la Belle Époque ? Entre 1875 et 1906 s’est imposé le type de la putain, qui, par-delà sa valeur d’objet sexuel, a permis aux écrivains de sonder d’insoupçonnées vérités du cœur humain. Le « voyage au bout de la nuit » des filles publiques demeure une bouleversante découverte.