Avec Tsubame, l’écrivaine d’origine japonaise Aki Shimazaki poursuit, en français, une œuvre tout à fait singulière où les drames humains, marqués au sceau du secret, sont liés aux grands événements historiques du XXe siècle nippon. Si la bombe atomique qui a anéanti Hiroshima et Nagasaki constituait la toile de fond de ses deux premiers romans Tsubaki (1999) et Hamaguri (2000), l’annexion du pays du Matin calme et le sort tragique qu’ont connu les immigrants coréens au Japon s’inscrit au cœur de cette troisième parution.
Les lecteurs de Shimazaki reconnaîtront le personnage principal, Mariko Takahashi, maîtresse du père de Yukiko dans Tsubaki et mère du Yukio d’Hamaguri. Cette fois cependant, l’auteure nous ramène jusqu’au terrible tremblement de terre de septembre qui a détruit Tokyo en 1923 et qui pourrait être la source même du destin qui lie tous ces personnages. Un temps où Mariko s’appelait Yonhi Kim, un nom coréen relégué au fond de sa mémoire avec sa langue maternelle qu’elle ne comprend plus.
On retrouve dans Tsubame les mêmes phrases courtes, précises, qui racontent avec retenue les horreurs du massacre des Coréens. Et à nouveau, cette manière détachée de parler du pire s’avère d’une redoutable efficacité : longtemps, les images du charnier d’Arakawa et les méandres de l’âme tourmentée de Mme Takahashi tournoient dans nos têtes.
Chez Shimazaki, les titres sont autant de clés pour la compréhension du roman. Après Tsubaki, le camélia qu’aimait tant Yukiko, et Hamaguri, le coquillage associé à Yukio la jeune fille aimée, Tsubame est l’hirondelle symbolisant le double secret de Mariko Takashahi : ses origines et l’identité de son père inconnu. Révélation ultime faite aux lecteurs dans les toutes dernières pages du roman.
On referme Tsubame avec l’envie de relire toute l’œuvre d’Aki Shimazaki. Histoire de bien saisir tous les fils qui les relient et pour l’extrême habileté de l’auteure à mener ses lecteurs au cœur de tragédies humaines écrites sur le fil tranchant de tragédies historiques.