Pensant dévoiler le caractère trompeur des affirmations de Trotski dans ses écrits et désirant faire contrepoids au capital de sympathie exprimé à l’endroit du révolutionnaire russe, Robert Service s’égare et ne réussit pas à prendre toute la mesure de la vie d’un homme d’une aussi vaste envergure. Ainsi, la démarche de l’auteur n’est rien de moins qu’une étonnante entreprise de dénigrement marquée profondément par un biais idéologique. Manifestement, les idées et le radicalisme révolutionnaire de Trotski, à l’origine du combat politique qui constitua tout le centre de sa vie, dérangent le biographe, et le personnage lui est proprement antipathique. Ce faisant, Service ne manquera pas de souligner jusqu’à l’insignifiance les travers de la personnalité de Trotski, qui condense tous les défauts du monde : c’est un homme sans principes ; un opportuniste, vantard et manipulateur ; un être arrogant, présomptueux, vaniteux et égocentrique. L’opinion personnelle de l’auteur, énoncée sur un ton parfois moqueur, prendra donc au fil des pages et jusqu’à l’agacement, plus de force que l’analyse.
Selon Service, le parcours de Trotski se résumerait à une tentative désespérée et irresponsable pour multiplier les soulèvements révolutionnaires. Qui plus est, ce ne sont pas tant les idéaux auxquels il adhérait qui motivèrent son action, mais plutôt son ambition politique à vouloir occuper une place de premier plan. Desservi par un caractère exécrable et une rigidité politique dérangeante, Trotski aurait commis plusieurs erreurs et perdu ainsi sa lutte contre Staline, simple reflet, au fond, d’une rivalité personnelle.
Mais cette lecture du personnage et de son combat politique montre de sérieuses faiblesses. L’argumentation de l’auteur est spécieuse et grossière ; son raisonnement, captieux. Sa propension au subjectivisme se traduit par des conclusions hâtives et des jugements hasardeux. Le texte de Service est ainsi émaillé de nombreuses spéculations et affirmations gratuites. L’auteur suppose, il prête des intentions, multiplie allusions et formules vagues à l’endroit de Trotski. Par ailleurs, outre l’écriture décevante, la mise en contexte des événements et l’exposition des enjeux politiques sont nettement déficientes. Certains développements demeurent bâclés, ce qui ne permet pas de faire la part des choses entre les désaccords politiques, les conflits de personnalité et les conditions sociales de la lutte qui se menait en Russie à cette époque. En plus, Service schématise et s’embrouille dans l’utilisation de divers concepts ou catégories politiques qu’il ne maîtrise pas. Enfin, ses prétentions d’apporter un nouvel éclairage sur Trotski et de contribuer à une vision plus « approfondie » de la révolution russe de 1917 tombent à plat à la lumière des redites et des inconsistances d’un récit amputé de la rigueur que nous serions en droit d’attendre d’un historien d’Oxford.