La définition du saint que pratique Eduardo Mendoza demeure à heureuse distance des critères retenus par le Vatican. « Ce sont des saints, écrit-il, dans la mesure où ils consacrent leur vie à une lutte de tous les instants entre l’humain et le divin. » Le lecteur, même muni de cette définition, hésitera peut-être à poser une auréole sur les trois têtes que lui présente l’auteur. Il aura tort, car les saints de Mendoza méritent le ciel, du moins celui qui échoit aux entêtés, aux cohérents, aux compatissants.
Le piteux évêque d’Amérique centrale qui débarque à Barcelone pour y participer à un congrès eucharistique ne pouvait prévoir qu’un coup d’État secouerait son pays pendant son absence et qu’une junte allergique à sa défense des pauvres lui interdirait de rentrer chez lui. Isolé, inadapté, ignorant à l’extrême, le prélat en est réduit aux expédients ; il glisse vers les bas-fonds. Lorsque la situation politique s’inversera dans son pays natal, le retour lui deviendra un but méritant tous les gestes, y compris les moins respectables.
Dubslav, fils d’une célébrité scientifique, ne tient à rien. Certes pas à sa mère qui ne l’a conçu que pour « s’attirer la réprobation irrécusable de la société » et en tirer « la solitude indispensable à ses recherches ». Certes pas non plus à une profession en particulier. Sans boussole, secoué à l’occasion par une bouleversante privation de contact avec le réel, il osera les plus folles aventures ; pourquoi pas, puisqu’il n’a pas accès à l’intelligible ? C’est au fond de la brousse que le rejoindra l’annonce de la mort de sa mère : à lui d’aller recevoir au nom de la défunte le prix européen de la Réalisation scientifique. « Je suis un homme absurde, dira-t-il au prestigieux auditoire. J’ai été conçu de façon absurde et toute ma vie a été consacrée à développer et perfectionner cette absurdité. » Lui aussi mènera jusqu’à son dernier souffle le combat que Mendoza considère comme la sainteté.
Quant à Inès Fornillos, son parcours est tout aussi admirable de fidélité à un but. Les détenus qu’elle essaie d’éveiller au plaisir de la lecture et de l’écriture ne lui permettent certes pas d’espérer de grandes découvertes. Tout au plus pourra-t-elle obtenir, d’un auditoire qui rêve de liberté plus que de chefs-d’œuvre littéraires, quelques minuscules améliorations, et encore ! Sainte, Inès le sera du fait de son attention sans faille, de son dévouement sans espoir de réponse.
Trois vies qu’on hésite à qualifier d’exemplaires, mais dont la cohérence mérite le respect.