Imitant Jules Verne (1828-1905) pour le titre et le parcours, Jean Cocteau (1889-1963) relate ici son propre Tour du monde en 80 jours, effectué en 1936 grâce à la commandite du journal Paris-Soir. Sur les pas de Philéas Fogg, le personnage inventé par Jules Verne, Cocteau partit de Paris pour visiter successivement Londres, Rome, Le Caire, Port-Saïd, Suez, Aden, Bombay, Calcutta, Hong Kong, Tokyo, Honolulu, San Francisco, New York, puis retourna dans la capitale britannique. À la fois touriste et explorateur, l’écrivain visita Rhodes et les pyramides, mais aussi le parc d’attractions de Coney Island.
Cet ouvrage sous forme de journal parut initialement sous le titre Mon premier voyage, bien que ce ne fut pas vraiment le premier périple de l’écrivain à l’étranger. Le récit de voyage était alors un genre beaucoup plus répandu que de nos jours : c’est d’ailleurs durant cette même année qu’André Gide publiait son Retour de l’URSS, livre qui dénonçait le stalinisme et qui allait vite devenir un classique.
Parcourant le continent asiatique comme le faisait Tintin à la même époque, Jean Cocteau adopte une méthode de voyage particulièrement audacieuse et intense, optant délibérément pour les zones louches, « les quartiers interdits et les coupe-gorge » de Birmanie et de Chine. Mais le voyageur fait également des rencontres inespérées : sur un cargo, il fait par hasard la connaissance de Charles Chaplin et de l’actrice Paulette Goddard, « le miracle charmant de ce voyage », écrira Cocteau. Réunion magique de célébrités qui s’admirent mutuellement sans pouvoir bien comprendre la langue de l’autre ; sans jamais l’avoir rencontré, le réalisateur des Temps modernes lui déclarera fraternellement : « Nous nous connaissons depuis toujours ». Après une visite à Hollywood, Cocteau traversera les États-Unis en avion, puis fera escale à New York qui le fascinera, avant de rentrer en Europe.
Ce livre méconnu se distingue d’un simple récit de voyage par ses qualités littéraires ; sur le plan stylistique, Cocteau est au meilleur de sa plume. On apprécie ses descriptions imagées et son vocabulaire recherché : « La magnificence sordide et la pompe théâtrale de Hong Kong l’emportent sur le spectacle des villes chinoises de la péninsule ». En lisant ces pages évocatrices, on repense parfois aux atmosphères brûlantes des films de Josef von Sternberg (Shanghai Gesture) ou d’Orson Welles (La Dame de Shanghai).