La déclaration semble couler de source. Didier Leclair, pourtant, prendra quelques détours avant de la préciser. Certes, l’Africain récemment débarqué ouvre de grands yeux quand Toronto étale ses gratte-ciel, ses autoroutes, ses dizaines de chaînes de télévision, ses légions de piétons ordonnés. Le lecteur peut croire que l’arrivant est comblé et que, déjà, l’histoire d’amour va bon train. Tout ira d’autant plus vite, pense-t-on, que les femmes blanches désirent des beaux Africains autant que les timides Africains rêvent d’elles. Mais ce n’est pas joué et Didier Leclair a tôt fait de joliment compliquer les choses. Toronto n’est ni simple ni homogène. Y vivent, dans des réseaux discrets et compliqués, des humains d’origines diverses. Notre Africain n’a pas défini sa relation à la ville que déjà les cousins africains qui l’ont précédé à Toronto semblent lui en vouloir.
On comprend peu à peu la source des réticences. C’est à Toronto que Harvey, le frère de Bob, a été assassiné et Bob n’admet pas que l’on ouvre trop facilement les bras à cette ville meurtrière. Il ne faut pas l’aimer trop vite, escamoter les reproches, désarmer de confiance. Face à la séduction qu’exerce Toronto, il convient de se montrer prudent, d’opposer au mythe les aspérités du quotidien. Toronto, pourtant, gagnera la partie.
Didier Leclair écrit comme on retouche une peinture : un ajout ici, une tache là, un trait intervenu tardivement. Ni lourdeur ni désordre, mais un œil pénétrant et une main juste. Ce sera assez quand un coup de pinceau de plus serait de trop. Que le Prix Trillium ait couronné cette entrée intelligente en culture torontoise, ce n’est que justice.