Des déportations au Canada au milieu du XXe siècle ? Vraiment ? Pour s’en convaincre, il faut lire ce roman inspiré de faits réels s’étant déroulés dans le Grand Nord canadien. Récit d’un passé honteux mais néanmoins véridique.Dans son avant-propos, Gilles Dubois rappelle un épisode douloureux et authentique : afin de prouver au monde que le territoire arctique canadien était réellement occupé par des populations canadiennes, et ce, jusque dans ses limites extrêmes – et donc pouvant être illégitimement envahies par des puissances étrangères (comprenez l’URSS au temps de la guerre froide) –, le gouvernement fédéral a délibérément déporté une vingtaine de familles innues du nord du Québec, en leur laissant croire que ce déplacement de 2000 kilomètres plus au nord serait provisoire. Cet épisode « provisoire » dans le Haut-Arctique, à Resolute Bay et à Craig Harbour, allait en réalité durer plus d’une décennie. Ce faisant, le Canada se déshonorait en déplaçant ces Innus contre leur gré vers des lieux inhospitaliers et beaucoup plus froids.Il convient d’expliquer le titre : Tiriganiak est le nom d’une chirurgienne métisse, docteure au Nunavut, qui deviendra témoin du quotidien des Innus, et particulièrement de celui des femmes. L’action se déroule entre 1995 et 2019, alors que les conséquences du passé restent encore palpables et douloureuses, par exemple lorsque le personnage de Kogak Sikoyok se remémore, à une génération de distance et avec force ressentiment, la terrible élimination, durant les années 1950, des chiens qui servaient à tirer les traîneaux : considérés alors comme menaçants, des milliers de ces chiens avaient été exécutés par les agents de la Gendarmerie royale du Canada. Ce qui condamnait ces populations traditionnellement nomades à se sédentariser, faute de pouvoir se déplacer comme avant. Cette décision administrative allait bouleverser toute une communauté.Dans Tiriganiak, docteure au Nunavut, le style de Gilles Dubois est épuré mais enlevé, évitant le pathos, et s’apparenterait à celui d’un roman d’aventures ; un roman nordique, avec le froid et la glace comme toile de fond : « Mes chiens sont impatients de t’faire découvrir unuibrome, ‘le grand désert de glace avec personne dessus’ ». La préoccupation pour ces femmes du Grand Nord dont témoigne le roman évoque parfois – mais sur un autre registre – le récit autobiographique Aniasiurti. Récit d’une presque médecin, de l’infirmière Louisette Giroux (Tsemantou, 2020). Par son caractère vif, le personnage de Kogak Sikoyok – qui signifie « rivière glacée » – rappelle parfois le héros du roman Dersou Ouzala (Payot, 1921), de Vladimir Arseniev, écrit il y a exactement un siècle. Gilles Dubois organise sa narration de manière non chronologique, dans de petits blocs qu’il date, un peu comme dans un scénario ; on imaginerait aisément une adaptation pour le grand écran de ce récit vivant, aux touches épiques.
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