Tes lunettes sans ton regard de Joanne Morency complète le cycle qui relate la mort de sa mère. Dans Le corps inachevé (Triptyque, 2012), alors que sa mère perdait ses moyens et qu’elle l’accompagnait dans ses derniers mois, l’auteure replongeait dans ses souvenirs de jeunesse. Tes lunettes épouse la forme du journal, liant prose poétique et haïkus, comme le veut la tradition du haïbun, forme qu’elle avait utilisée dans Mon visage dans la mer (David, 2011).
Le recueil se divise en trois parties, comme autant d’étapes dans le cheminement de l’auteure. « Le monde en suspens » relate les derniers mois de sa mère. L’auteure décide alors de sous-louer un appartement à Sherbrooke pour l’accompagner et supporter son père. « Tes lunettes sans ton regard » porte sur le deuil alors que Morency est toujours à Sherbrooke et qu’il lui faut effectuer les démarches légales tout en assumant le deuil. « Une simple clarté » marque le retour en Gaspésie et la vie qui reprend ses droits : la douleur du deuil se transforme en souvenance.
La simplicité de la forme, l’insertion de haïkus permettent à l’auteure d’exprimer ses sentiments. Elle se raconte en faisait le récit de la vie de sa mère et de sa famille. D’abord le constat que sa mère est « de moins en moins présente enfouie sous [ses] paupières » tandis qu’elle « découvre la véritable absence du temps ». Morency ne précise pas de quelle maladie sa mère est atteinte : ce n’est pas une analyse clinique, mais un témoignage sur la perte de celle qui est « ce corps d’où je viens ». Le lien mère-fille est au cœur du récit. Il y a là quelque chose qui dépasse l’auteure et qu’elle cherche à définir, en particulier dans la deuxième partie.
« Sur la commode / tes lunettes / sans ton regard. » Il ne reste plus que les objets dans la maison : « Je ne sais pas comment me défaire de tes biens. Comment retenir ton parfum. Comment me départir de toi ». Faire son deuil. Parallèlement, elle apprend que son vieux chat est mort, comme un écho au décès de sa mère. Lentement, elle apprivoise la mort : « Moins tu apparais et plus j’émerge ». Cette partie (ce texte a obtenu le Prix du récit Radio-Canada) est empreinte d’une tendresse, d’une délicate expression de la douleur, du manque, tout en étant lumineuse : la vie émergera de la mort.
Dans la troisième partie, elle écrit : « [M]e retrouver chez moi sans te savoir là-bas ». Un chaton succède au vieux matou ; il lui faut « finir d’arriver ». « Là-bas » son père apprend à vivre seul et à cuisiner (« deuxième coup de fil / combien de temps la cuisson / du jambon ? »). Ici, c’est l’été : « Mes chaussures neuves, la frimousse du minou, ta plante qui fleurit ». La vie. Et le souvenir : « Tu existes. Toujours ». Un beau et touchant recueil.
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