Dans le précédent volume, regroupant les carnets tenus entre 1995 et 2000, André Major terminait sur une note d’ouverture, comme une invitation à le retrouver à un autre moment afin de poursuivre cet exercice d’amitié qu’est le partage des réflexions, impressions, rêves, sans taire les déceptions qui balisent le parcours d’une vie : « L’important, concluait-il, c’est de poursuivre sa route, à l’écoute du vivant. Un vers de Verlaine le dit tout simplement : La route est bonne et la mort est au bout ». La promesse est tenue, André Major nous revient cette fois avec les carnets couvrant les trois années qui suivent, de 2001 à 2003.
Le lecteur confident y retrouve celui qu’il a quitté quelques années plus tôt, à la fois inchangé et différent. Major demeure avant tout ce lecteur aussi passionné qu’hier et avide de poursuivre sa quête de compréhension du monde, d’interroger et de partager avec le lecteur le fruit de ses réflexions, ses doutes et, par moments, les étincelles de beauté qui s’offrent à qui sait se mettre en retrait et regarder. Le titre prend ici tout son sens : s’élever et observer. Le carnet s’inscrit dans la continuité d’un échange qui se veut indissociable de cette même quête. « Dans le carnet, écrit Major, on simule une conversation avec un lecteur dont on ne peut malheureusement pas entendre les répliques […]. Personne ne nous lit avec plus d’attention que ce lecteur pour qui on est une voix dans la solitude de sa lecture. » Une voix avec ses élans, ses envolées, qui parfois dénoncent et, à d’autres moments, doutent. Et ses silences.
Major revient ainsi sur les lectures et les auteurs qui l’ont marqué et qu’il revisite : Tchékhov, Tolstoï, Dostoïevski, Flaubert, Hamsun, Naipaul, Nietzsche, Pavese, Ferron, pour ne nommer que ces derniers. Les relectures ont maintenant préséance sur la découverte de nouveautés. Major renoue avec ce qui hier l’émerveillait et nourrissait ses engagements tant littéraires que citoyens qui lui ont permis de persévérer, de cheminer. Après la hâte et l’impatience des premières années, Major apprivoise le regard apaisé qui vient avec l’âge. Au-delà de tout ce qui peut être noté, évoqué, interrogé, dénoncé, acclamé –quoique plus rarement dans ce dernier cas –, le souci premier qui traverse et donne à ces pages à la fois leur unité, leur couleur et, pourrait-on dire, leur légitimité, la préoccupation constante qui anime Major, c’est la justesse de l’écriture. « L’important n’est pas tant de témoigner fidèlement de celui qu’on est que de maintenir vivant le rapport entre soi et le monde – de bien faire voir et sentir ce qu’on a vu, lu ou vécu. Autrement dit, d’écrire avec justesse – cette justesse qui assure le bien-fondé de l’écriture. »
L’homme de 75 ans qui revisite ses carnets n’a rien perdu de sa lucidité. L’esprit combatif qui hier l’animait fait aujourd’hui davantage place à l’acceptation des jours qu’il accueille tantôt avec sagesse lorsque la finalité de l’existence lui est rappelée par l’accompagnement d’un oncle vieillissant dont les jours sont comptés, tantôt avec bienveillance lorsqu’un enfant, son petit-fils, s’invite au quotidien. Cette sagesse trouve également appui sur les joies simples et la douceur de vivre qu’il retrouve dans le fado et la cuisine portugaise qu’il aime partager avec ses amis, et dans la beauté de paysages que lui offrent les Laurentides et la Serra da Estrela, qui lui inspirent le respect et le recueillement propice au rêve éveillé. Car, sans rêve nous rappelle Major en citant Giono, que pouvons-nous connaître et comprendre de ce monde ?
Comme un ami que l’on quitte à regret après un repas qui a su nous réconcilier avec l’âpreté de certains jours, il me tardera de retrouver André Major dans ses prochains carnets, et de renouer avec ces petits riens de la vie qu’il sait capter et nous offrir avec justesse.
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