Que recouvre l’amnésie ? On aimerait croire qu’elle n’a englouti, ce qui serait déjà énorme, que le passé d’un homme. Il y aurait alors espoir que l’amnésique puisse se réapproprier ses gestes. Pierre Ouellet a trop d’audace et d’intelligence pour limiter son lecteur à ce classique pagayage à rebrousse-courant. Pourquoi le passé serait-il forcément le passé ? Pourquoi l’occupant de ce corps sans mémoire n’aurait-il pas été, au temps où il était policier, habité déjà, emporté même par un autre destin ? Peut-être l’ami, policier de son état comme l’était l’amnésique, réussira-t-il à reconstituer ce qui fut, mais peut-être le présent exigera-t-il du passé un aveu qui le dépasse. La mémoire d’un homme, en effet, n’est-elle pas, selon la puissante expression de Ouellet, la « sage-femme de sa vie » et donc celle qui, dépassant l’enregistrement des faits, conduit l’être à l’existence ? Bien malin qui épuisera toutes les lectures qu’on peut tirer de ce roman vibrant.
Pierre Ouellet reconnaît devoir beaucoup aux acryliques de Michel Bricault. De fait, texte et ombres tremblées se relancent pour construire ensemble un univers obsédant et halluciné. L’écriture de Ouellet halète comme une panique, rebondit avant même d’avoir repris contact avec le sol, plie à ses besoins tout ce que la langue peut offrir et beaucoup plus. On est tenté d’appliquer à l’auteur une de ses plus belles expressions : ce qu’il crée avec force, c’est une pathétique.