De Tunis à Hammamet, de Kairouan à Carthage, Élissa noircit des pages et des pages d’un gros cahier qu’elle traîne partout. Est-elle écrivaine ? Prend-elle des notes pour un prochain ouvrage ? Et ses compagnons de voyage deviendront-ils des personnages de roman ? C’est du moins ce que chacun se demande. Dès lors, et longtemps après le retour de vacances, cette perspective pousse chacun d’eux à l’introspection.
Dans Souvenirs de Carthage – son premier roman après le recueil de nouvelles L’office des ténèbres qui lui a valu plusieurs prix littéraires – Françoise Tremblay plonge derrière les apparences. Qui sont, en vérité, ces gens sympathiques ou agaçants que nous rencontrons dans les stations touristiques ou avec qui nous partageons les horaires contraignants des voyages organisés ? Les huit compagnons d’Élissa masquent tous leurs secrets, odieux ou inoffensifs, leurs regrets, leurs désarrois, leurs préjugés. Et Élissa ? Qui est-elle vraiment ? Comme pour ces compagnons, elle restera une image plus ou moins floue, plus ou moins changeante dans l’imagination du lecteur.
À travers toute une galerie de personnages, l’auteure aborde de dures réalités sociales : la dépression, la violence conjugale, le rejet, le tourisme sexuel, la pédophilie, la solitude des célibataires autant que celle des couples, le racisme, les inégalités socioéconomiques, etc. Très différents les uns des autres, les paysages intérieurs de chacun des personnages, qui assument tour à tour le rôle de narrateur, sont généralement bien rendus. Certains d’entre eux toutefois – ceux de Josée et de Vicky –, manquant d’aspérités, auraient gagné à être fouillés davantage. Et si l’essence des conflits intérieurs de ces touristes au pays des anciens Phéniciens est crédible et distinct, les voix des personnages, elles, se confondent : chacun s’exprime plus ou moins de la même façon, avec un vocabulaire identique et un rythme similaire.
D’une idée intéressante avec une structure originale, Françoise Tremblay a fait un roman souvent émouvant mais inégal qui se lit cependant d’une seule traite.