« Une Shirley McLaine de la plume, une danseuse à claquettes de dix ans, avide de montrer son talent aux parents et amis. » C’est la comparaison acidulée que faisait un critique britannique à propos du spectaculaire premier roman de Zadie Smith, White teeth (titre faiblement rendu en français par Sourires de loup). Quand la plupart de ses collègues – dont Salman Rushie – s’enthousiasmaient du talent précoce de l’écrivaine d’à peine 25 ans, il trouvait, lui, que la demoiselle en faisait un peu trop. Il s’est avéré que ce critique mal embouché n’était autre que… Zadie Smith elle-même. Façon de désarmer les grognons qu’agaceraient tant d’intelligence et de virtuosité chez une si jeune femme ?
Il est vrai qu’il y en a pour tout le monde dans Sourires de loup. Ce qui est remarquable, c’est qu’au contraire de tant de jeunes auteurs incertains qui commencent leur œuvre en parlant d’eux-mêmes, Zadie Smith n’a pas eu peur de créer un monde, une petite société très métissée (à l’image de Zadie Smith elle-même, de mère jamaïcaine). Le livre suit la vie de deux familles du nord de Londres sur une période de vingt-cinq ans et aborde des thèmes aussi vastes que la place de l’individu dans l’histoire, ou aussi actuels que le fondamentalisme musulman.
La saga, on le sait, est un genre où il est facile de perdre ses personnages dans le dédale des péripéties. Zadie Smith, tout en multipliant les anecdotes et les rappels historiques, maintient la densité humaine de ses créatures, confrontées à la perte des répères que vivent tous ceux qui se retrouvent plongés dans le bain du multiculturalisme. Un beau livre, malgré quelques pas de claquettes en trop.