Quelle démonstration éblouissante ! Il fallait oser ce coup de maître. Il fallait aussi y penser. Et seul peut-être le grand écrivain néerlandais qui explore depuis ses premiers écrits les origines du Mal pouvait s’en permettre la hardiesse. Car le Siegfried de Harry Mulisch n’est pas une énième réflexion philosophique sur le plus grand tyran meurtrier de l’Histoire, Adolf Hitler. C’est une approche singulièrement moderne, avant-gardiste, voire audacieuse, du funeste personnage. La trame de fond n’est pas si fantaisiste que ça : et si le Führer et Eva Braun avait eu un fils qui se serait appelé Siegfried, en référence bien entendu au grand compositeur Wagner et à la mythologie germanique !
L’intérêt du livre ne repose pas uniquement sur son intrigue, magnifiquement amenée, tissée de détails significatifs sur la vie quotidienne au Berghof, le refuge bavarois d’Hitler.
Au-delà des apports historiques plus ou moins romancés, l’argumentation de Harry Mulisch pourrait se résumer comme suit : Hitler c’est Rien. Un néant énigmatique. Un trou noir de destructions. Un vide anéantissant. Une absence de valeurs. Mais c’est déjà pervertir le propos de l’auteur et la finesse de son talent… Comment synthétiser Siegfried sans flirter avec l’incompréhensible et risquer de rallumer de vieilles angoisses ?
À l’ombre de ce grand conteur, terrifiant d’érudition, les innombrables études sur Hitler sont de toute évidence « insuffisantes parce qu’elles parlent de quelque chose et pas de rien. Ce n’est pas qu’il fût impénétrable, mais c’est qu’il n’y avait rien à pénétrer ». Et pourtant la non-personne Hitler a fait des millions de victimes et Nietzsche fut la première.
Le raisonnement glace le sang. Le nihilisme est un être humain. Hitler est à notre porte.
Il est là.