Cet ouvrage aurait tout aussi bien pu s’intituler « Dictionnaire amoureux de l’oie blanche ». L’auteur, qui de corps ou d’esprit n’a cessé d’accompagner les oies toute sa vie, a finalement décidé de s’asseoir devant le clavier pour nous faire le récit de ce que cette fréquentation lui a apporté. Il en résulte une somme dont la richesse réside dans la cohabitation des propos objectifs et subjectifs, qu’il mélange savamment, d’une plume experte, sans jamais perdre l’intérêt du lecteur.
Sur le plan objectif et descriptif, le lecteur apprendra tout ce qu’il faut savoir : nomenclature (« grande oie » ? « petite oie » ? « oie blanche/des neiges » ? « bernache/outarde » ?), mode de vie, aménagement, réglementation, évolution démographique et, évidemment, migration. L’auteur en sait beaucoup sur les oies blanches parce qu’il a beaucoup lu, mais aussi parce que toute sa vie, sporadiquement ou assidûment selon les périodes, il a rencontré et interrogé des passionnés et des connaisseurs. Sans parler de ses propres explorations. Ne s’est-il pas rendu jusqu’à l’île Bylot pour les observer tout son soûl pendant leur stage estival ? C’est où, l’île Bylot ? Oh ! un petit millier de kilomètres au nord d’Iqaluit…
Ce faisant, il était accompagné par quelques fantômes inspirants, notamment celui de Louis Lemieux, le biologiste issu de l’Université Laval qui l’a précédé là dans les années 1950 et qui a laissé un journal. Et c’est ici qu’on goûte l’art du récit de Gérald Baril, qui entremêle son expérience personnelle avec l’histoire patrimoniale, autant pour nous faire vivre la chose concrète que pour faire partager son émerveillement. Cet épisode sera aussi l’occasion de livrer de riches informations et réflexions sur le monde inuit d’aujourd’hui et d’antan.
C’est ainsi qu’à côté des données scientifiques, l’ouvrage de Baril flirte avec le journal personnel : il n’hésite pas à confier d’emblée au lecteur le récit de cette escapade au lac Saint-Pierre où il a réussi à faire venir son ado en lui tirant un peu la manche pour lui faire découvrir la « beauté tumultueuse » d’un attroupement d’oies blanches, ou encore l’acquisition et l’aménagement de ce petit lopin de terre qu’il occupera de nombreuses années au bord de l’île d’Orléans, cette fois accompagné par le « fantôme » du poète Pierre Morency qui l’a précédé sur ce terrain (au sens thématique comme au sens cadastral). C’est aussi en nous présentant son ami Richard, « ornithologue averti », que l’auteur nous fera connaître divers représentants de la gent aviaire au-delà des anatidés. Égrener des noms d’oiseaux, n’est-ce pas en soi le parfait exercice mariant science et poésie ?
Il y a tant de choses à dire autour des oies, et l’œuvre de Baril, de ce point de vue, tient aussi un peu de l’encyclopédie, au sens premier du terme. Au-delà des considérations éthologiques, au-delà des inévitables visites au cap Tourmente, au-delà des réflexions philosophiques quant à l’incomparable exploit des oies qui parcourent 8 000 kilomètres à près de 10 000 mètres d’altitude chaque année, au-delà du rite céleste bisannuel qui relie toute l’histoire du Bas-du-Fleuve, de la Nouvelle-France et du Québec depuis les premiers explorateurs et avant, il y a toute la question de la chasse. La chasse-expérience, que l’auteur nous fait goûter également, mais aussi le jugement porté sur cette activité par les véganes citadins « sur la foi de l’ignorance et d’un moralisme douteux ». Sans écrire un traité, Baril ne craint pas d’expliquer posément qu’il existe une façon pour l’humain de traiter l’animal avec respect sans pour autant en faire un sujet de droit l’assimilant à l’homme. Mais la question est complexe et demande un minimum de réflexion. « Avec un peu de recul, on se rend compte que l’attitude générale de refroidissement envers la chasse est corrélée avec un affaiblissement des liens intimes d’interrelation avec la nature, au profit d’une relation superficielle et à sens unique, axée sur la consommation. » Les Autochtones eux-mêmes ne s’approprient-ils pas la nature depuis des temps immémoriaux ? Après, il y a la manière, bien sûr, et on peut en parler.
Ce tour d’horizon n’aurait pu se conclure sans un petit inventaire des évocations de l’immaculé volatile dans la littérature mondiale et québécoise ainsi que dans la peinture et la chanson. Défi relevé avec autant d’éclectisme que de pertinence.
Les oies, c’est bien connu, rythment nos saisons. « Leur cacardage entêtant a le pouvoir de nous mettre en joie [car] le message de vie des grandes oies blanches ne se compare à nul autre. Pourquoi nous causent-elles tant d’émoi ? » Pour une foule de raisons mélangées, et on peut dire que l’auteur n’en a pas laissé beaucoup d’inexplorées.